par Pierre Beaudry, le 28 août 2007
Introduction
Comme Lyndon LaRouche l’a souligné récemment, l’Empire britannique, pour conquérir et asservir les peuples, préfère généralement avoir recours à la manipulation idéologique plutôt qu’à la force brute. Au long des siècles, les impérialistes britanniques ont perfectionné, à travers leurs services de renseignements, l’art de convaincre les peuples à forger et installer leurs propres chaînes mentales, en induisant la population, à « faire comme les autres », à « suivre le courant » et à agir « sans se faire remarquer » etc… L’Acte de Québec en est un exemple remarquable.
La réussite persistante de cet acte pervers peut être vue dans le fait que dans une province dont le motto est « je me souviens » la population ne se souvienne absolument pas d’un de ses citoyens les plus valeureux: Clément Gosselin. On peut penser à beaucoup d’excuses pour lesquelles les Canadiens n’ont pas joint la Révolution américaine : les Canadiens sortaient d’une défaite militaire, ils avaient toujours vécu sous un gouvernement féodal qui ne les avaient pas habitué à la liberté, ils n’avaient pas de commerce international, ils avaient un niveau d’éducation très bas (le premier livre imprimé au Canada date de 1765), ils ont été trahis par leurs élites, l’église, aussi bien que les seigneurs dont le mode de vie féodal était ressuscité par Carleton etc., néanmoins, le fait que, malgré tous ces obstacles, un patriote révolutionnaire comme Clément Gosselin ait pu échapper à la manipulation des britanniques et organiser un mouvement canadien qui a participé à plusieurs batailles importantes, de celle de Québec jusqu’à la victoire finale à Yorktown en Virginie, 6 ans plus tard, le 17 octobre 1781, victoire qui forçait la capitulation des Britanniques et assurait la liberté et l’indépendance du peuple américain, montre que ce n’était que cela : des excuses.
Dans ce compte-rendu, je donnerai un exposé clinique de l’opération du service de renseignements britanniques contre la population canadienne et je montrerai la crise psychologique que devait nécessairement traverser un leader canadien de cette période afin de pouvoir accomplir le changement révolutionnaire nécessaire en lui-même et en ses compatriotes.
1- Un moment de fierté pour tous les Canadiens
Clément Gosselin, fils de Gabriel Gosselin et de Geneviève Crépeaux, est né le 12 juin 1747 dans la paroisse de Sainte-Famille sur l’Île d’Orléans, à l’est de la ville de Québec. À l’instar de son père, Clément devint menuisier. Il vivait à La Pocatière, au Québec, lorsqu’il s’est joint aux Américains avec environ 200 autres Canadiens, au cours de l’attaque quasi-suicidaire du Général Richard Montgomery contre la ville de Québec, le 31 décembre 1775. Le jeune Clément, alors âgé de 28 ans, ne fut pas ébranlé par cette défaite américaine et c’est principalement lui qui recruta les soldats canadiens qui se sont ensuite joints au Colonel Benedict Arnold. Plus tard, il s’est enrôlé dans le Deuxième Régiment canadien de Moses Hazen, avec le rang de capitaine. Par la suite, le capitaine Clément Gosselin oeuvra comme officier de renseignement militaire canadien et était directement au service personnel de George Washington comme en témoignent deux lettres de Gosselin qui ont été trouvées dans les archives du premier Président des Etats-Unis.
L’aspect le plus fascinant de l’histoire peu connue de Clément Gosselin réside dans le courage sublime avec lequel, lui et les centaines de Canadiens qu’il a recrutées, ont combattu avec succès le barrage de guerre psychologique que les britanniques ont mené systématiquement contre eux et leurs familles. Gosselin a été personnellement ciblé par les renseignements britanniques comme le leader du groupe. Avec le temps, ces Canadiens exceptionnels brûlèrent tous les ponts avec le régime britannique; ils abandonnèrent tous leurs biens, rompirent avec le consensus de l’opinion publique incarnée par leur famille, leur seigneur et leur curé, et allèrent jusqu’à défier l’excommunication prononcée contre eux par le plus haut prélat du Canada, tout cela afin de se préserver des conditions bestiales que les Britanniques voulaient imposer sur leurs colonies nord-américaines.
L’histoire du capitaine Gosselin n’est pas celle d’un héros romantique en mal d’aventure ou d’un rebelle en réaction contre l’autorité. C’est plutôt l’histoire, simple et belle, du combat révolutionnaire d’un homme oeuvrant à libérer son peuple de la cabale monstrueuse d’une alliance religieuse et politique qui voulait garder emprisonné l’esprit des Canadiens, tel du bétail dans un enclos, pour toute la durée de la Révolution américaine.
Les Canadiens faisaient face au même problème que Benjamin Franklin avait identifié pour les Américains:
«Ceux qui sont prêts à sacrifier la liberté pour la sécurité ne méritent ni l’une ni l’autre.»
C’était précisément ce paradoxe de sécurité et liberté que Clément Gosselin avait dû résoudre en développant en lui-même et chez d’autres compatriotes les pouvoirs de compréhension supérieurs permettant de comprendre le principe physique universel que représentait l’esprit du mouvement d’indépendance américaine. La question était : comment rompre les chaînes mentales d’un faux besoin de sécuriser son existence sur la base d’un consensus social de l’opinion populaire?
Plutôt que d’accepter de ne pas faire de vague et de vivre leur vie de tous les jours comme les autres, en faisant semblant de ne pas remarquer qu’ils avaient été dérobés de leur bien le plus précieux, comme certains Français le firent plus récemment en acceptant le régime du gouvernement de Vichy, Clément Gosselin et ceux qui s’engagèrent dans la Révolution américaine avaient décidé de revendiquer leur dignité d’homme et de faire avancer la cause de l’humanité.
Ce faisant Clément Gosselin et ses hommes ont joué un rôle important pour la Révolution américaine et l’histoire universelle, mais ils ont également prouvé aux Canadiens de l’époque et d’aujourd’hui qu’un tel combat peut être mené à bien. Il serait grandement temps que les Canadiens s’en souviennent.
2. Machinations britanniques!
Le 26 octobre 1774, dans le dernier acte significatif de sa session, le Congrès des colonies unies avait envoyé une lettre extraordinaire «Aux habitants de la province de Québec» qui a déjà été partiellement citée dans la partie 2. Fleury Mesplet, imprimeur français récemment établi à Philadelphie et futur fondateur de la Gazette de Montréal, publia quelques milliers d’exemplaires en français de cette lettre qui invitait les Canadiens à envoyer des délégués au Congrès de mai 1775. Cette lettre fut convertie en une brochure de propagande et devint le principal outil de mobilisation utilisé par Clément Gosselin afin de recruter ses compagnons canadiens à la Révolution. La lettre commençait de la manière suivante:
«Aux habitants de la province de Québec.
Nos Amis et Concitoyens,
« Nous, les Délégués des Colonies du nouveau Hampshire, de Massachusetts-Bay, de Rhode Island et des Plantations de Providence, de Connecticut, de la Nouvelle York, du Nouveau Jersey, de la Pennsylvanie, des Comtés de New-Castle, Kent et Sussex sur le fleuve de la Ware, du Maryland, de la Virginie et des Carolines septentrionale et méridionale, ayant été députés par les Habitants des dites Colonies pour les représenter dans un Congrès général à Philadelphie, dans la province de Pennsylvanie, et pour consulter ensemble sur les meilleurs moyens de nous procurer la délivrance de nos oppressions accablantes; nous étant en conséquence assemblés et ayant considéré très sérieusement l’état des affaires publiques de ce continent, nous avons jugé à propos de nous adresser à votre Province comme à une de ses parties qui y est des plus intéressée.
« Lorsque après une résistance courageuse et glorieuse le sort des armes vous eut incorporé au nombre des sujets Anglais, nous nous réjouîmes autant pour vous que pour nous d’un accroissement si véritablement précieux; et comme la bravoure et la grandeur d’âme sont jointes naturellement, nous nous attendions que nos courageux ennemis deviendraient nos amis sincères, et que l’Être suprême répandrait sur vous les dons de sa providence divine en assurant pour vous et pour votre postérité la plus reculée les avantages sans prix de la libre institution du Gouvernement Anglais, qui est le privilège dont tous les sujets Anglais doivent jouir.
« Ces espérances furent confirmées par la déclaration du Roi donnée en 1763, engageant la foi publique pour votre jouissance complète de ces avantages.
« À peine aurions-nous pu alors nous imaginer que quelques Ministres futurs abuseraient avec tant d’audace et de méchanceté de l’autorité royale, que de vous priver de la jouissance de ces droits irrévocables auxquels vous aviez un si juste titre.
« Mais puisque nous avons vécu pour voir le temps imprévu, quand des Ministres d’une disposition corrompue ont osé violer les pactes et les engagements les plus sacrés, et comme vous aviez été élevés sous une autre forme de gouvernement, on a soigneusement évité que vous fissiez la découverte de la valeur inexprimable de cette forme à laquelle vous avez à présent un droit si légitime; nous croyons qu’il est de notre devoir de vous expliquer quelques-unes de ces parties les plus intéressantes, pour les raisons pressantes mentionnées ci-après.
« ‘Dans toute société humaine,’ dit le célèbre Marquis Beccaria, ’Il y a une force qui tend continuellement à conférer à une partie le haut du pouvoir et du bonheur, et à réduire l’autre au dernier degré de faiblesse et de misère. L’intention des bonnes lois est de s’opposer à cette force, et de répandre leur influence également et universellement.’
« Des Chefs incités par cette force pernicieuse, et des sujets animés par le juste désir de lui opposer de bonnes lois, ont occasionné cette immense diversité d’événements dont les histoires de tant de nations sont remplies. Toutes ces histoires démontrent la vérité de cette simple position, que d’exister au gré d’un seul homme, ou de quelques-uns, est une source de misère pour tous.
« Ce fut sur ce principe comme sur un fondement solide que les Anglais élevèrent si fermement l’édifice de leur gouvernement qu’il a résisté au temps, à la tyrannie, à la trahison, et aux guerres intestines et étrangères, pendant plusieurs siècles. Et comme un Auteur illustre et un de vos compatriotes cité ci-après, observe. ‘Ils donnèrent au peuple de leurs Colonies la forme de leur gouvernement propre : et ce gouvernement portant avec lui la prospérité, on a vu se former de grands peuples dans les forêts même qu’ils furent envoyés habiter.’
« Dans cette forme le premier et le principal droit, est, que le peuple a part dans son gouvernement par ses représentants choisis par lui-même, et est par conséquent gouverné par des lois de son approbation, et non par les édits de ceux sur lesquels il n’a aucun pouvoir. Ceci est un rempart qui entoure et défend sa propriété, qu’il s’est acquise par son travail et une honnête industrie; en sorte qu’il ne peut être privé de la moindre partie que de son libre et plein consentement, lorsque suivant son jugement il croit qu’il est juste et nécessaire de la donner pour des usages publics, et alors il indique précisément le moyen le plus facile, le plus économe et le plus égal de percevoir cette partie de sa propriété.
« L’influence de ce droit s’étend encore plus loin. Si des Chefs qui ont opprimé le peuple ont besoin de subsides, le peuple peut les leur refuser jusqu’à ce que leurs griefs soient réparés, et se procurer paisiblement, de cette manière, du soulagement sans avoir recours à présenter des requêtes souvent méprisées, et sans troubler la tranquillité publique.
« Le second droit essentiel consiste, à être jugé par une Jurée. On pourvoit, par-là, qu’un Citoyen ne peut perdre la vie, la liberté ou les biens, qu’au préalable Sentence n’ait été rendue contre lui par douze des ses égaux et compatriotes de mœurs irréprochables, sous serment, pris dans son voisinage, qui par cela même on doit raisonnablement supposer devoir être informé de son caractère et de celui des témoins, et cela après des enquêtes suffisantes face à face, à huis ouverts, dans la cour de justice, devant tous ceux qui voudront se trouver présent, et après un jugement équitable. De plus cette Sentence ne peut lui être préjudiciable, sans injurier en même temps la réputation et même les intérêts des Jurés qui l’ont prononcée.
« Car le cas en question peut être sur de certains points qui ont rapport au bien public; mais s’il en était autrement, leur Sentence devient un exemple qui peut servir contre eux-mêmes s’ils venaient à avoir un semblable procès.
« Un autre droit se rapporte simplement à la liberté personnelle. Si un Citoyen est saisi et mis en prison, quoique par ordre du gouvernement, il peut néanmoins en vertu de ce droit, obtenir immédiatement d’un Juge un ordre que l’on nomme Habeas Corpus, qu’il est obligé sous serment d’accorder, et se procurer promptement par ce moyen une enquête et réparation d’une détention illégitime.
« Un quatrième droit consiste dans la possession des terres en vertu de légères rentes foncières, et non par des corvées rigoureuses et opprimantes qui forcent souvent le possesseur à quitter sa famille et ses occupations pour faire ce qui dans tout état bien réglé devrait être l’ouvrage de gens loués exprès pour cet effet.
« Le dernier droit dont nous ferons mention regarde la liberté de la presse. Son importance outre les progrès de la vérité, de la morale et des arts en général, consiste encore à répandre des sentiments généreux sur l’administration du gouvernement, à servir aux Citoyens à se communiquer promptement et réciproquement leurs idées, et conséquemment contribue à l’avancement d’une union entre eux, par laquelle des supérieurs tyranniques sont induits, par des motifs de honte ou de crainte, à se comporter plus honorablement et par des voies plus équitables dans l’administration des affaires.
« Ce sont là ces droits inestimables qui forment une partie considérable du système modéré de notre gouvernement, laquelle en répandant sa force équitable sur tous les différents rangs et classes de Citoyens, défend le pauvre du riche, le faible du puissant, l’industrieux de l’avide, le paisible du violent, les vassaux des Seigneurs, et tous de leurs supérieurs.
« Ce sont là ces droits sans lesquels une nation ne peut pas être libre et heureuse, et c’est sous la protection et l’encouragement que procure leur influence que ces Colonies ont jusqu’à présent fleuri et augmenté si étonnamment. Ce sont ces mêmes droits qu’un ministère abandonné tâche actuellement de nous ravir à main armée, et que nous sommes tous d’un commun accord résolus de ne perdre qu’avec la vie. […]
La lettre se terminait par ce paragraphe que nous avons déjà cité : « Nous ne requérons pas de vous dans cette adresse d’en venir à des voies de fait contre le Gouvernement de notre Souverain, nous vous engageons seulement à consulter votre gloire et votre bien-être, et à ne pas souffrir que des Ministres infâmes vous persuadent et vous intimident jusqu’au point de devenir les instruments de leur cruauté et de leur despotisme. Nous vous engageons aussi à vous unir à nous par un pacte social, fondé sur le principe libéral d’une liberté égale, et entretenu par une suite de bons offices réciproques, qui puissent le rendre perpétuel. À dessein d’effectuer une union si désirable, nous vous prions de considérer s’il ne serait pas convenable que vous vous assembliez chacun dans vos villes et districts respectifs, pour élire des députés de chaque endroit qui formeraient un Congrès Provincial, duquel vous pourriez choisir des Délégués pour être envoyés, comme les représentants de votre Province, au Congrès général de ce continent qui doit ouvrir ses séances à Philadelphie, le 10 de Mai 1775.»
On peut s’imaginer à quel point cette harangue, sur les droits inaliénables et les principes du Système américain, a dû être au centre de toutes les discussions et rencontres que le capitaine Gosselin a eues dans le processus de mobilisation et de recrutement à l’effort de guerre de son réseau de Canadiens français. À un an de la Guerre d’Indépendance américaine, ce pamphlet était l’instrument le plus important pour éduquer et mobiliser des Canadiens jeunes et alertes.
Puis les choses se précipitèrent et les hostilités s’ouvrirent avant même que le Congrès de mai 1775 ne débute. En effet, Le 16 avril 1775, les britanniques ordonnèrent l’arrestation de Samuel Adams et John Hancock, mais leurs soldats furent pris en embuscade, perdirent un engagement à Concord et finirent par retraiter à Boston. En l’espace de quelques jours, ils y étaient emprisonnés par 16 000 miliciens venus des états avoisinants. La Guerre d’Indépendance était commencée. Le Congrès nomma George Washington commandant-en-chef de l’armée révolutionnaire et celui-ci établit ses Quartiers généraux à peu de distance de Boston. Le Canada étant exceptionnellement peu défendu (1 000 soldats réguliers seulement), il devenait possible, avec une attaque éclair de libérer les Canadiens des Britanniques et d’acquérir de précieux alliés sur ce crucial flanc nord. C’est pourquoi dès que l’armée fut organisée, le Congrès demanda à Washington de lancer l’invasion.
On peut imaginer la joie de Clément Gosselin en apprenant cette nouvelle.
Hélas, l’invasion se solda par la défaite de Montgomery et Arnold devant Québec et, en avril-mai 1776, une importante flotte Britannique arriva forçant les troupes américaines à se retirer. Néanmoins pendant quelques mois, il aurait suffit d’une volonté de liberté de la part des Canadiens français pour que la cause de la liberté triomphe et cette opportunité a été perdue.
L’échec de cette invasion représenta une importante défaite pour les Américains ainsi que pour la population canadienne qui, fondamentalement, était évidemment en faveur de la liberté. Alors pourquoi n’avoir pas lutter?
On a vu le côté pernicieux de l’Acte de Québec qui jouait sur le besoin de chaude sécurité des Canadiens en prétendant qu’ils auraient tout ce qu’ils voudraient pourvu qu’ils abandonnent leur liberté. Cela était très efficace, mais cela n’aurait peut-être pas été suffisant. Carleton décida de manipuler la religiosité des Canadiens en utilisant une arme secrète : L’agent britannique Jean Olivier Briand, évêque de Québec.
Avec le Traité de Paris, en 1763, l’église catholique était sensée être simplement tolérée et, dans le cours normal des choses, elle serait disparue du Canada puisqu’il n’y restait pas d’évêque pour ordonner de nouveaux prêtres. C’est dans ces conditions qu’un chanoine de Québec, Briand, fut choisi, malgré l’avis contraire des dirigeants de l’église canadienne, pour aller à Londres où il resta de novembre 1764 à décembre 1765. Après quoi il se rendit en France pour se faire sacrer évêque puis retourna en Angleterre prêter allégeance au roi. Après quoi il revint au Canada transformé. Il était leur homme. Lorsque Fort St-Jean avait été pris successivement par Benedict Arnold et Ethan Allen en mai 1775, Briand avait lancé un appel aux armes aux Canadiens pour qu’ils joignent la milice que mettait sur pied Carleton et aident les Britanniques à refouler une invasion imminente. Il leur rappelait leur serment de fidélité extirpé par le représentant du roi et prétendait que la religion catholique elle-même était menacée: « A tous les peuples de cette Colonie, Salut et Bénédiction. Une troupe de sujets révoltés contre leur légitime souverain, qui est en même temps le nôtre, vient de faire une irruption dans cette province, moins dans l’espérance de s’y pouvoir soutenir que dans la vue de vous entraîner dans leur révolte, ou au moins de vous engager à ne pas vous opposer à leur pernicieux dessein. La bonté singulière et la douceur avec laquelle nous avons été gouverné de la part de sa très gracieuse majesté le roi George III depuis que, par le sort des armes, nous avons été soumis à son empire; les faveurs récentes dont il vient de nous combler, en nous rendant l’usage de nos lois, le libre exercice de notre religion, et en nous faisant participer à tous les privilèges et avantages de sujets britanniques, suffiraient sans doute pour exciter votre reconnaissance et votre zèle à soutenir les intérêts de la couronne de la Grande Bretagne. Mais des motifs encore plus pressants doivent parler à votre cœur dans le moment présent. Vos serments, votre religion, vous imposent une obligation indispensable de défendre de tout votre pouvoir votre patrie et votre roi. Fermez donc, chers canadiens, les oreilles, et n’écoutez pas les séditieux qui cherchent à vous rendre malheureux, et à étouffer dans vos cœurs les sentiments de soumission à vos légitimes supérieurs que l’éducation et la religion y avaient gravé. Portez-vous avec joie à tout ce qui vous sera commandé de la part d’un gouverneur bienfaisant, qui n’a d’autres vues que vos intérêts et votre bonheur. Il ne s’agit pas de porter la guerre dans les provinces éloignées : On vous demande seulement un coup de main pour repousser l’ennemi, et empêcher l’invasion dont cette province est menacée. La voix de la religion et celle de vos intérêts se trouvent ici réunies, et nous assurent de votre zèle à défendre nos frontières et nos possessions.
Briand alla plus loin, il utilisa le meilleur instrument que les britanniques avaient pu trouver pour empêcher les Canadiens français de se joindre à la Révolution américaine : L’excommunication. Dans une lettre ouverte à toutes les églises du Québec, Briand lança l’avertissement, selon lequel, quiconque appuierait la Révolution américaine serait excommunié de l’Église catholique, se verrait refuser les sacrements, y compris l’extrême onction, et ne serait pas enterré dans un cimetière catholique.
L’excommunication et l’Acte de Québec formaient en réalité une seule et même opération très savamment calculée. Elle aurait fait l’envie de l’ancien clergé perse de l’oracle d’Apollon à Delphes. Les services de renseignements britanniques avaient utilisé la bonne vieille technique du « flic gentil/ flic dur » pour piéger la population canadienne. C’était une opération policière typique, à la Mutt and Jeff. Carleton jouait le rôle du « gentil », et Briand, celui du « dur ». Carleton offrait aux Canadiens la plus grande sécurité, sans qu’ils aient même besoin de s’occuper de leur propre gouvernement, et Briand les menaçait de l’insécurité la plus totale, sans rémission. Le choix qui restait aux défenseurs de la cause américaine était donc l’humiliation publique ou la damnation éternelle de leurs âmes.
Cependant, même ces mesures ne suffirent pas à arrêter Clément Gosselin et ses compagnons d’armes. Afin de mieux comprendre ce qui était en jeu dans le processus de recrutement du capitaine Gosselin, retournons, un instant, à la période de la conquête britannique de 1759.
3. Gosselin attaqué par les Britanniques et l’église
Quand les Britanniques remontèrent le fleuve Saint-Laurent en 1759, ils avaient prévu de s’arrêter à l’Île d’Orléans avant de se présenter devant la citadelle de Qubec. En un sens, parce que la famille Gosselin habitait cet endroit stratégique, elle se trouvait automatiquement impliquée dans toute invasion de la colonie.
L’Île d’Orléans, située à environ 5 kilomètres à l’est de la ville de Québec, au milieu du Saint-Laurent, était indéfendable en soi, mais, par ailleurs, elle était le meilleur endroit pour préparer le siège de Québec. La partie ouest de l’île était un point d’observation parfait, permettant d’identifier toute activité militaire qui pouvait se dérouler dans le port et autour des fortifications de la ville. Le domicile des Gosselin était localisé dans la partie est de l’île, une place de choix pour que l’ennemi y établisse son quartier général avant de déclencher une attaque sur la ville. Donc, regrettablement mais inévitablement, les habitants de l’Île d’Orléans étaient toujours touchés directement par de telles invasions, et étaient forcés d’évacuer leur île à chaque fois.
Le père de Clément Gosselin, Gabriel Gosselin, l’un des principaux fermiers de l’Île, avait reçu personnellement du commandant militaire du Canada, le Marquis de Montcalm, l’ordre de faire évacuer la place en prévision de l’arrivée de la flotte britannique. Gabriel Gosselin était capitaine dans la milice française et agissait comme commandant militaire de l’île.
En 1759, bien que certains habitants aient accroché des messages de courtoisie en anglais aux portes déverrouillées de leurs maisons, souhaitant la bienvenue aux Britanniques, et leur offrant abris et nourriture dans l’espoir qu’ils ne détruisent pas tout ce qu’ils possédaient, les Britanniques, eux, se sont comportés comme de véritables barbares et ont incendié presque tout sur l’île. L’une des rares églises à ne pas être complètement détruites par les Britanniques avait été l’église paroissiale de la famille Gosselin, l’église Saint-François-de-Sales, dans la partie nord-est de l’île.
Ce comportement barbare des Britanniques laissa une trace indélébile sur le jeune Clément Gosselin, alors âgé seulement de 12 ans. Clément et sa famille étaient de fervents catholiques. C’était Gabriel Gosselin qui avait préparé les plans et bâti l’église de Saint-François-de-Sales que les Britanniques avaient partiellement détruite. C’est là aussi que Clément développa ses aptitudes spirituelles et manuelles et qu’il découvrit que l’une n’était jamais vraiment séparée de l’autre, et que son amour de Dieu comme son amour de la menuiserie étaient destinés à se développer ensemble. L’historien Henri Gosselin, père oblat américain, a fait une remarque plutôt perspicace au sujet de l’intérêt que Clément a su démontrer pour la menuiserie dans son pacte social avec l’Église.
«Une telle dévotion de la part des paroissiens envers leurs églises et les autorités religieuses, n’était pas rare, à cette époque. Les premiers habitants du Québec vivaient modestement. Pour la plupart, leurs maisons étaient dépourvues de décorations à l’intérieur comme à l’extérieur. Leur ameublement était simple. Mais leur église était magnifique!
« Une église après l’autre fut construite sur l’Île d’Orléans, ainsi que tout du long de la rive nord et de la rive sud du Saint-Laurent. Non seulement ces églises longeaient le bord du fleuve, mais les paroisses étaient établies en doubles rangées. Les gens tiraient une immense fierté de leurs églises. Ils travaillaient sans relâche pour construire, entretenir et réparer ces édifices, y investissant leur argent, pourtant rare, leurs biens et leurs efforts.
« Leur récompense venait de l’exercice même du talent dont ils avaient été gracié et ensuite de la satisfaction devant le fruit de leur labeur. En entrant dans l’église, le dimanche matin, et en goûtant l’art dont leurs propres maisons étaient dépourvues, ils ressentaient le doux sentiment de servir Dieu en qui leur foi était si grande.
« Pour le Canadien français, la paroisse était très importante, comme unité sociale. Naturellement, le chef de la paroisse et son animateur principal était le curé. Le prêtre acceptait la responsabilité de s’occuper non seulement des affaires spirituelles mais aussi des affaires temporelles de ses paroissiens. Traditionnellement, il était la personne la plus instruite de la paroisse; non seulement il représentait la suprême autorité dans les questions théologiques mais, en outre, il possédait aussi de bonnes notions dans le domaine des lois civiles.
« Le curé était un dispensateur compétent de bons conseils pour les familles aux prises avec toutes sortes de problèmes. La plupart de ses paroissiens sollicitaient son avis avant de prendre de graves décisions. Au confessionnal, il était le médiateur entre le pécheur et son Créateur, l’aidant à restaurer la précieuse relation que chaque paroissien désirait entretenir avec Dieu.»
Ceci est la façon dont la plupart des générations de Canadien français ont été éduquée jusqu’au début des années 1960, alors que la satanique section canadienne du Congrès pour la Liberté Culturelle (CLC) a commencé à répandre son venin partout.
Le 8 décembre 1775, Clément Gosselin était assis dans le quatrième banc de l’église Sainte-Anne-de-la-Pocatière pour prier quand le prêtre de la paroisse, le Père Pierre-Antoine Porlier, monta en chaire et le pointa du doigt avec colère, en disant d’une voix tonitruante :
«Oui, vous, Clément Gosselin, serez excommunié de notre sainte Église. Monseigneur Briand, notre évêque, vous avertit, vous et les autres rebelles comme vous, que vous devez renoncer immédiatement à votre conduite séditieuse et révolutionnaire! Sinon, vous en subirez les conséquences! Si vous vous joignez à l’effort américain pour essayer de repousser nos conquérants anglais de ce pays, savez-vous ce qui arrivera? Cela signifie que si vous êtes mortellement blessé au combat, vous serez privé des derniers secours de l’Église. Aucun prêtre n’entendra votre confession. Et vous ne serez pas enterré dans une terre bénite. Pensez-y sérieusement, Clément Gosselin! Votre âme est elle-même en péril! Et aussi celle des hommes innocents de ce village que vous tentez de recruter!»
Cela n’avait rien d’étonnant : depuis près d’un an, Clément recrutait parents et amis à la cause américaine. Tous savaient qu’il était le principal leader de la cause américaine dans la région de Québec. Néanmoins, la nouvelle de cette déclaration publique lui tombait dessus comme un coup de massue. Il n’était ni offensé, ni particulièrement effrayé, comme Briand l’aurait aimé, mais il était en état de choc et complètement perplexe. Il ne pouvait pas croire que l’Évêque irait jusqu’à utiliser la religion contre la cause sacrée de la liberté. Le moment de vérité était venu! Gosselin était forcé par son Évêque de choisir entre l’autorité apparemment incontestable de l’Église et son rôle de leadership dans la Révolution américaine, entre le consensus de l’opinion publique et la vérité de sa propre conscience. Gosselin choisit!
4. Gosselin et la création de deux régiments canadiens pour l’armée du Congrès
Dans toute période de changement révolutionnaire, il n’y a qu’une poignée d’individus qui réussisse à trouver en eux-mêmes le courage leurs permettant de prendre la responsabilité d’une mission apparemment impossible. Ainsi, il n’y eut que quelques centaines de Canadiens qui joignirent la Révolution américaine. La plupart d’entre eux n’était pas d’accord avec la forme oligarchique de gouvernement que les Britanniques voulaient imposer et ils répondirent aux idées de Liberté et d’auto-gouvernement. D’autres se sont joints pour des raisons plus pragmatiques, mais à la fin, ils ont vu en l’Amérique naissante la voie vers le progrès, le chemin vers un avenir meilleur pour tous.
Malgré la défaite américaine devant Québec, Le colonel Arnold continua le siège de la ville tandis qu’une partie des troupes américaines regagnait Montréal. Carleton était prisonnier dans Québec. Le Congrès américain résolut alors d’envoyer des renforts, 5000 hommes commandés par le Général Sullivan, qui n’arriveront qu’au printemps. Un des officiers subalternes de Montgomery, le capitaine Moses Hazen, proposa au colonel Benedict Arnold, la création d’un régiment canadien. Arnold envoya une requête au Congrès général pour faire lever deux régiments canadiens de 1000 hommes chacun, dont l’un serait commandé par Moses Hazen et l’autre par James Livingston. Le Congrès accéda à la demande et, au mois de mars 1776, accorda à Hazen le commandement du Deuxième Régiment canadien au sein de l’armée coloniale de George Washington avec le grade de Colonel.
C’est ici que le travail de Clément Gosselin prit une importance accrue. Il devait s’occuper de l’approvisionnement des troupes et du recrutement de nouveaux soldats. Avec la création de régiments canadiens pour l’armée du Congrès, les recrues gagnaient une place et une mission officiellement reconnues dans la Révolution américaine, mais cela signifiait de leur part prendre un engagement plus profond. Il ne s’agisait plus de simplement montrer leur soutien aux colonies américaines dans leur entreprise canadienne, mais de se battre à leurs côtés jusqu’à l’ultime victoire de la cause républicaine. Ceci impliquait qu’ils aient pris un nouvel engagement plus sérieux, envers l’idée de la Destinée manifeste. Ces Canadiens français n’étaient plus simplement anti-britanniques, ils étaient également devenus culturellement des patriotes américains.
Au début de 1776, la propagande anti-américaine au Canada prit une nouvelle tournure et s’amplifia, lorsque Carleton publia une traduction française de la Lettre au peuple de la Grande Bretagne, rédigée par John Jay au nom du Congrès général de 1774 et dans laquelle l’Église catholique était insultée dans les termes les plus méprisants. Certains Canadiens considérèrent que le Congrès continental les avait trompé. Cependant, Clément avait compris que cette lettre faisait partie de la guerre psychologique américaine afin de réveiller la population de la Grande Bretagne.
Même si certaines des nouvelles recrues et membres du réseau canadiens-francais se sentirent offensées et furent momentanément déstabilisés par les attaques du Congrès contre leur Église, Clément avait compris que dans toute guerre, chaque partie se devait de faire flèche de tout bois dans sa propagande pour obtenir l’effet désiré. Il avait également compris que l’intention de Carleton avait tout simplement été d’utiliser la lettre du Congrès pour confondre la population francophone du Canada.
Avec l’arrivée en mai de la flotte britannique qui transportaient les 8000 soldats de Burgoyne, les troupes américaines, malgré les renforts de Sullivan, amorcèrent leur retraite et retournèrent à Ticonderoga. La libération du Canada avait échoué, il fallait maintenant s’occuper du deuxième objectif qu’avaient eu l’invasion : empêcher les Britanniques d’attaquer les colonies américaines à partir du Canada.
L’historien Henri Gosselin décrit l’œuvre de recrutement de Clément Gosselin de la façon suivante :
«À la fin de février (1776), 150 Canadiens français s’étaient enrôlés dans le régiment de Hazen et, à la fin de mars, le nombre s’était élevé à 250. Plusieurs étaient des soldats français, restés au Canada à la suite de la Conquête en 1759. Cependant, le régiment était éprouvé par des désertions : les recrues partaient peu après avoir touché leur prime d’enrôlement.
« Édouard Anctill se concentra dans la région de Québec; néanmoins, il n’avait réussi à recruter que cinq Canadiens français à la mi-février. Clément Gosselin et Germain Dionne avaient mis en colère le curé Porlier en enrôlant plusieurs hommes dans la région de La Pocatière. À Kamouraska, Pierre Ayot réussit à faire signer un bon nombre de volontaires pour le régiment de Hazen.
« En avril (1776), le régiment de Livingston comptait 200 volontaires canadiens recrutés depuis Trois-Rivières jusqu’à Kamouraska. Pourtant, ce nombre était bien en deçà du but visé de 1000 volontaires par régiment.»
Le Dictionnaire biographique du Canada donne des informations supplémentaires qui confirme la campagne de recrutement de Gosselin.
« De janvier à mai 1776, Gosselin parcourut les diverses paroisses de la rive sud du fleuve, depuis Pointe-Lévy (Lauzon et Lévis) jusqu’à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, recrutant des volontaires pour les troupes du Congrès ; il était secondé dans cette tâche par son beau-père, Germain Dionne, qui fournissait hardes et vivres aux nouvelles recrues. Gosselin convoqua aussi et présida des assemblées de paroisse pour faire élire des officiers de milice à qui il remit des commissions du Congrès. Il lut encore aux portes des églises, et força quelquefois les officiers du roi à lire eux-mêmes, les ordres et proclamations des Américains. Enfin, conjointement avec Pierre Ayotte, habitant de Kamouraska tout aussi dévoué à la cause révolutionnaire, Gosselin fit organiser des feux d’alarmes, bien protégés, destinés à prévenir les Américains de l’arrivée éventuelle de vaisseaux britanniques. »
Un an plus tard, en 1777, le capitaine Gosselin retournait à La Pocatière pour vendre ses propriétés. C’est alors qu’il se fit arrêter et emprisonner à Québec avec son frère Louis et son beau-père Germain Dionne. Tous les trois furent relâchés au printemps de 1778, et Louis ainsi que Clément rejoignirent le Deuxième Régiment canadien à White Plains, New York. Leur régiment portait le fier surnom de Congress Own Regiment (COR).
En 1778, juste avant que la France ait décidé de prendre part à la guerre, les deux régiments canadiens comptaient un total de 450 Canadiens français. Le Deuxième Régiment canadien fut ensuite déployé dans les célèbres batailles de Brandywine, de Germantown et de Yorktown.
Ce régiment a aussi construit une route militaire à partir de Newbury au Vermont jusqu’à Hazen’s Notch dans le Nord du Vermont afin de préparer une deuxième invasion du Canada qui devait être dirigée, cette fois, par le général Lafayette dans la Vallée du Richelieu. Cette affaire tapageuse dans le bas-ventre du Québec avait complètement effrayé les Britanniques. En un rien de temps, le capitaine Gosselin avait répandu dans les principales villes du Québec la nouvelle suivant laquelle les Français étaient sur le point de reprendre possession du Canada avec les Américains. Toutefois, cette seconde invasion ne s’est jamais concrétisée.
Néanmoins, Gosselin continua à alimenter l’idée de cette menace d’invasion. Cette désinformation s’avéra très efficace, et il réussit à maintenir les forces britanniques du Canada sur le qui vive durant toute la période de la guerre. Gosselin a donc tout à fait réussi à mener à bien le Plan B de l’invasion du Canada comme l’indique un simple coup d’œil sur les 6 années de déploiement du régiment COR (Figure 3.) dans la partie nord-est des colonies américaines, depuis Québec en 1775 jusqu’à Yorktown en 1781. Cette activité fut également confirmée dans une lettre du capitaine Gosselin au Congrès général, révélant que l’espion canadien de George Washington avait été responsable «de la cueillette de renseignements au Canada, en trois occasions différentes entre 1778 et 1780, à la requête de son Excellence (Washington), du comte d’Estaing et du marquis de Lafayette.»
Le 29 juin 1781, le général en chef, George Washington, promut le colonel Hazen au rang de brigadier général. Celui-ci, le 4 octobre, reçut de Washington l’ordre de conduire son régiment en mission de siège à Yorktown afin de commander une brigade sous les ordres du général Lafayette à la bataille finale de Yorktown. Le 13 octobre, le capitaine Gosselin fut grièvement blessé à la jambe par un morceau de bois en provenance d’une explosion de boulet de canon alors qu’il construisait un rempart protecteur sur le champ de bataille de Yorktown. C’est donc étendu sur une civière que le capitaine Gosselin a pu observer, fièrement, l’armée britannique vaincue défiler hors des fortifications de Yorktown, le 19 octobre 1781. Le Deuxième Régiment canadien faisait parti des rangs d’une longueur d’un mille formés par les troupes américaines et françaises disposées l’une en face de l’autre alors que les troupes britanniques vaincues du général Cornwallis marchaient en silence entre elles. Cornwallis lui-même fut tellement humilié par cette défaite, qu’à la manière hautaine typique d’un officier supérieur de l’Armée britannique, il refusa de marcher avec ses hommes.
Lorsque après la guerre les deux Régiments canadiens furent démobilisés, Hazen, les frères Gosselin et les autres Canadiens français reçurent tous, en récompense de leurs services, des concessions territoriales dans le Nord de l‘État de New York. La plupart d’entre eux est resté aux États-Unis et a pris la citoyenneté américaine.
Après le Traité de Versailles en 1783, Clément Gosselin fut promu au grade de major et reçut 1000 acres de terrain qu’il vendit peu après les avoir reçus. Tel Cincinnatus, après avoir gagné la guerre, le Major Gosselin retourna au Canada pour exercer son métier de menuisier. Il s’installa à Saint-Luc, au Québec. On peut imaginer sa fierté en voyant quelques années plus tard la création des Etats Unis en 1789 et l’élection du Président George Washington. En 1815, dans des circonstances qui étaient peut-être liées à la guerre de 1812-1815 entre les Britanniques et les Américains, à l’âge de 68 ans Clément Gosselin partit avec sa famille s’établir dans la vallée du Lac Champlain, à Beekmantown où il mourrut le 9 mars 1816.
Conclusion : le crime satanique du pragmatisme
L’imposture de l’excommunication par l’évêque Briand fonctionna exactement comme celle de l’Acte de Québec du Gouverneur Carleton. Toutes deux étaient des moyens insidieux d’aiguillonner les Canadiens vers un enclos soigneusement verrouillé et de faire en sorte qu’ils choisissent, volontairement, de mettre leurs propres chaînes mentales. Elles étaient de mauvais moyens d’arriver à un but apparemment acceptable et pratique. Elles étaient deux façons pragmatiques de faire que les gens suivent le courant, sans faire de vague. C’était exactement ce type de pragmatisme que Benjamin Franklin attaquait en disant : «Ceux qui sont prêts à sacrifier la liberté pour la sécurité ne méritent ni l’une ni l’autre.»
En un mot, Clément Gosselin et ses amis ont dû combattre le pragmatisme britannique, durant toute la Guerre d’indépendance américaine, sous la forme de deux falsifications sophistiques : l’une était la pseudo excommunication, et l’autre était la pseudo constitution connue sous le nom d’ Acte de Québec . Je dis « pseudo » parce que chacun d’eux était, en réalité, un instrument fallacieux de coercition, c’est-à-dire des mensonges. Observez simplement comment Carleton utilisa cette imposture à son avantage:
Carleton a dit au parlement britannique : « Le succès politique de mon Acte de Québec est basé sur l’idée de faire comprendre aux canadiens que recevoir tout ce qu’on demande et être libre c’est la même chose. Dit-il la vérité? Oui et non! En fait la seule chose fausse c’est que cela retire la capacité de décider. Cela retire la dignité d’homme. Ce qui en fait la différence avec l’animal. Le problème c’est que pour Carleton, il ne croit pas à cette dignité humaine. Comme le dirait LaRouche: «Avec l’Acte de Québec, Carleton était à la fois sophiste et menteur en pensant qu’il pouvait avoir raison d’avoir une opinion fausse. »
En ce qui concerne Briand, il était aussi à la fois un sophiste et un menteur parce qu’il utilisa l’instrument de l’excommunication dans une situation où l’excommunication ne s’appliquait pas. Personne n’avait commis d’hérésie. Lui aussi agit pour détruire cette capacité d’agir pour le Bien qui fait qu’un être humain n’est pas une bête. Et lui aussi est un sophiste et un menteur de penser qu’il pouvait avoir raison d’avoir une opinion fausse. Donc Carleton comme Briand ont tous deux agi par malice, car les deux n’avaient pas le droit de parler avec un tel mépris de la vérité. En conséquence d’un pareil crime nominaliste de pragmatisme, la population canadienne ne fut jamais libérée et n’a jamais acquis sa souveraineté.
Clément Gosselin était évidemment très différent. Le père Laurent Gosselin, un missionnaire du Sacré Cœur (M.S.C.), à qui Henri Gosselin a dédicacé son livre a, dans le même esprit passionné que celui de Benjamin Franklin, très bien décrit le cas de Clément Gosselin :
«Chez Clément et Louis Gosselin il y avait, je pense, un sens inné de la justice qui ne les a certes pas rendus populaires auprès de leurs supérieurs, religieux ou autres, à moins que ceux-ci ne partagent la même passion pour la justice et l’équité envers tous. Cette qualité a conduit plusieurs personnes – comme le major Clément et les Canadiens français qu’il a recrutés – à tout sacrifier pour la promotion et la défense des causes les plus nobles. Par leur action, ils ont grandement contribué au succès de la Révolution américaine. Nous avons pleinement le droit d’être fiers de la contribution de Clément, de Louis et des Canadiens français pour aider les Américains à gagner leur liberté et leur indépendance.»
Ici, le Père Gosselin démontre une compréhension très juste et profonde, de l’âme et de l’esprit de Clément Gosselin, dans la simultanéité de son éternité temporelle, car il a été capable de transcender les siècles afin de redécouvrir et revivre, lui-même, le principe physique universel de l’amour de l’humanité, l’agapè, principe qui a fourni à Clément Gosselin la flamme de la passion révolutionnaire. Cette flamme est encore vivante dans la profondeur de l’âme de tous les Canadiens d’aujourd’hui, mais la vraie question d’indépendance est : combien d’entre eux sont prêts, comme Clément Gosselin, à rompre avec le consensus de l’opinion publique et à porter le phare d’espoir nouvellement rallumé par Lyndon LaRouche afin de les guider dans la prochaine étape du cours historique de la Destinée manifeste? Combien de Canadiens peuvent être recrutés dans le but de porter plus loin, vers l’ouest, ce phare lumineux du progrès, à travers le sombre mais libérateur passage souterrain du Détroit de Béring, afin d’assurer un meilleur avenir pour l’humanité toute entière ?