par Pierre Beaudry, le 13 octobre 2007
Introduction
Si l’effet le plus immédiat de l’Acte de Québec fut de priver les Canadiens d’une partie de leur identité humaine, l’intention malfaisante des Britanniques s’étendait à un effet beaucoup plus vaste : tuer dans l’oeuf le plus grand mouvement de libération de l’histoire qui commençait déjà à s’affirmer en Amérique comme un Phare d’Espoir et un Temple de Liberté pour le monde entier. Pour le Congrès général de 1774, l’Acte de Québec devint la raison la plus importante pour amener les treize colonies à s’unir et à « dissoudre les liens politiques » qui les avaient lié à l’Angleterre.
L’émoi provoqué par cet Acte intolérable provenait principalement du fait, qu’en agrandissant considérablement le territoire de la province de Québec vers le sud, il menaçait l’expérience unique de l’exceptionnalisme américain que promouvait George Washington sous le nom de Destinée manifeste. Du point de vue de cette doctrine, le Nouveau Monde, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, devait être soigneusement protégé et isolé de l’infection du système oligarchique que les Britanniques venaient de consolider au Canada. Jusqu’à aujourd’hui, l’infection oligarchique que cet acte intolérable représente reste une épée de Damoclès suspendue sur les Amériques.
Je ne suggère pourtant aucunement quelque action radicale de la part des États-Unis, ni aucune forme d’amputation territoriale à l’intérieur du Canada non plus qu’une réforme constitutionnelle précipitée. La profonde crise de civilisation qui ébranle présentement le monde requiert une action plus urgente et plus universelle : une nouvelle Révolution américaine à l’échelle planétaire qui abolisse définitivement les politiques de l’empire britannique qui ont dominé une bonne partie du monde depuis 1763 et l’ensemble de la planète depuis 1971. Un des plus heureux symboles de cette révolution planétaire est sans doute le projet de tunnel sous le détroit de Béring- un projet dont les effets aurait des réverbérations sur 5 continents et qui nécessiterait une réorganisation rooseveltienne du système financier comme celle qu’a proposée l’économiste américain Lyndon H. LaRouche. Il est évident que les Canadiens sont particulièrement bien placés pour promouvoir ce projet qui renouerait avec la tradition de Destinée manifeste. Faire avancer cette idée, voilà qui serait, comme dirait Charles De Gaulle, rendre un sacré service au monde. Mais cela implique résoudre d’abord les paradoxes posés par l’Acte de Québec aux canadiens.
1. La stratégie historique de la Destinée Manifeste
Le plus important aspect à considérer dans cette recherche réside dans le fait que cet Acte intolérable, l’Acte de Québec, qui était guidé par une même intention tyrannique envers les Etats-unis et envers le Canada, a pourtant eu des résultats diamétralement opposés dans ces deux pays, permettant la naissance d’une grande nation dans un cas et, depuis plus de 200 ans, en détruisant toute idée dans l’autre. Ce paradoxe est lourd de conséquence et, pour le résoudre, il faut comprendre de façon approfondie l’idée de Destinée manifeste.
En bref, la Destinée manifeste représente le mouvement vers l’occident qui caractérisa généralement, mais pas exclusivement, les forces républicaines qui se sont développées, avec les siècles, pour aboutir, à la Renaissance, à la création d’état-nations dédiés au développement de la population en opposition aux forces oligarchiques venu de l’est qui défendait un système oligarchique impérial visant à dominer et assujettir la population. Comme le dit LaRouche, le combat a toujours été – colonisez l’ouest. Prenez les meilleurs gens d’Europe, les meilleurs gens ordinaires qui croient en cette idée; emmenez les sur ce territoire, développez le, puis allez vers l’ouest, ouvrez l’ouest, continuez d’aller vers l’ouest . Cela n’a donc rien à voir avec l’orientation du type «cowboy western» du criminel Andrew Jackson et de ses politiques génocidaires de nettoyage ethnique contre les Indiens de la Nation Cherokee pendant la première moitié du dix-neuvième siècle. Ce crime contre l’humanité perpétré par Jackson a été, en fait, une subversion par l’Empire britannique de la stratégie de la Destinée manifeste dont le nom a été rendu infâme sous le faux drapeau démocratique d’un agent britannique, le journaliste John L. O’Sullivan.
La phase originale américaine de la stratégie de la Destinée manifeste peut être correctement identifiée bien avant la Guerre d’Indépendance, alors que les représentants de Cotton Mather (Nouvelle Angleterre) et de William Penn (Pensylvannie) se réunirent à New York à l’automne de 1689 afin de coordonner leur réponse aux massacres de plusieurs villages coloniaux américains que les Indiens avaient perpétrés à l’instigation du comte de Frontenac (1672-1682 et 1689-1698) et de ses successeurs. C’est là que les colonies Américaines ont pris le prétexte de la guerre entre la France et l’Angleterre –faite pour remettre au pouvoir le Catholique James II- afin de sécuriser leurs colonies en planifiant une invasion du Canada pour 1690. Cette décision, comme on va le voir, avait une importance bien plus grande pour l’histoire universelle que le fameux « je vous répondrai par la bouche de mes canons » du comte de Frontenac.
Le développement de la colonie française avait été bien différent de celui des colonies anglaises. Ces dernières représentaient un effort de colonisation massif comme l’exemplifie le cas de la Massachussett Bay Colony qui, après 20 ans seulement d’existence, avait déjà plus de 20 000 colons (1630-1650); la composition ethnique des colonies anglaises était plus diverse (écossais, hollandais, allemands, suédois, des populations protestantes surtout mais il y avait aussi des catholiques et de juifs) et la population était beaucoup mieux éduquée. La liberté de la presse existait partout et ces colonies avaient de plus, à des degrés divers, une forme d’autogouvernement. De plus, les cercles de Jonathan Swift et de Gottfried Leibniz encourageaient de toutes leurs forces ce potentiel républicain qu’ils jugeaient crucial pour l’humanité. En Nouvelle France, la colonisation d’abord chancelante (quelques centaines d’habitants après 20 ans sous Champlain) ne prit son envol que sous Jean Baptiste Colbert et Jean Talon. Ces derniers visaient à rendre le plus rapidement possible la colonie autosuffisante. Cela impliquait augmenter le peuplement mais aussi développer les ressources de la colonie (agriculture, élevage, pêcherie, mines, industrie du bois, textile, etc.) afin de pouvoir exporter (y compris vers Boston) leur surproduction et importer les denrées nécessaires à sa survie. Avec l’arrivée de comte de Frontenac en 1672, il y a un véritable coup d’état et la politique coloniale change radicalement. Frontenac a des amis très puissants en France, suffisamment puissants pour ne pas avoir à obéir à Colbert (Il était le filleul de Louis XIII, il avait été le copain de Gaston d’Orléans et de sa fille, sa femme était en relation suivi avec sa cousine, Mme de Maintenon, épouse de Louis XIV et un de ses parents remplaça en 1690 le fils de Colbert comme Ministre d’état). Frontenac réorienta toute l’économie vers le trafic des fourrures, dont il bénéficiait personnellement, avec ses amis en France, et au détriment des marchands de Montréal. Il reprend aussi une politique expansionniste qu’avait interdite Colbert. Ainsi, Colbert écrit le 28 avril 1678 à l’intendant Duchesneau « Sa majesté ne veut point accorder au sieur Joliet la permission qu’il demande de s’aller établir avec 20 hommes dans le pays des illinois. Il faut multiplier les habitants avant de penser à d’autres terres, et c’est ce que vous devrez avoir pour maximes à l’égard des nouvelles découvertes qui sont faites ». Et Louis XIV est d’accord. Il écrit le 5 août 1683 : « Je suis persuadé comme vous que la découverte du Sr de Lasalle est fort inutile et il faut dans la suite empêcher de pareilles entreprises qui ne vont qu’à débaucher les habitants par l’espérance du gain et à diminuer la ferme des castors » . Un peu plus tôt, Louis XIV avait écrit à Frontenac pour signifier son désaccord dans des termes très énergiques: « La Nouvelle France court le risque d’être complètement détruite à moins que vous ne changiez à la fois votre conduite et vos principles » . Frontenac sera remplacé en 1682 mais la politique de commerce de fourrure et d’expansion sans réelle colonisation continuera.
Il y avait un autre poison au Canada : les jésuites (Louis XIV avait un confesseur jésuite, le Père Lachaise puis le père Le Tellier). Ainsi Colbert écrivait à Talon que Mgr Laval était leur instrument et que les Jésuites obtenaient la nomination des Gouverneurs de leur choix au Canada et qu’ils essayaient de faire du Canada une théocratie. Ainsi, l’évêque participait au Conseil souverain et en nommait les membres (5) de concert avec le gouverneur. Les Jésuites avaient été à l’origine du Concile de Trente (1545-1562) pour le compte des Vénitiens et ont été un des principaux facteurs pour créer les guerres de religion qui ont déchirés toute l’Europe au seizième et dix-septième siècles et ils continuent cette œuvre même après le traité de Westphalie comme l’indiquent la Révocation de l’Edit de Nantes (1685) ou le soutien de Louis XIV pour la guerre de 1689 pour remettre sur le trône anglais le catholique James II (qui avait aussi un confesseur Jésuite). C’est à partir d’eux qu’étaient manipulés les indiens contre les protestants. Il faut encore ajouter que la faction « pro-croisade de l’église catholique insistait pour imposer militairement leur croyance alors que les factions protestantes haïssaient les catholiques parce que ceux-ci menaçaient leur liberté de conscience. Les protestants considéraient ainsi les Catholiques comme des tyrans. Ces deux facteurs, les Jésuites et une politique expansionniste impériale ont ensuite dominé la politique de la Nouvelle France jusqu’à la conquête et, même si les gouverneurs et les évêques étaient rarement d’accord sur tout, au bout du compte leurs intérêts impérialistes coïncidaient. On peut en voir un exemple dans l’extrait de mémoire de Pierre Lemoine sieur d’Iberville : « Il me paraît qu’il est absolument nécessaire de jeter une colonie dans le Mississipi, à la rivière de la Mobile et se joindre aux indiens, qui y sont assez nombreux, par villages et nations séparées et les armer pour soutenir contre ceux que les anglais ont dans leur parti et faire repasser les anglais au-delà des montagnes, ce qui est facile, à présent qu’ils ne sont pas assez puissants dans l’ouest d’elles, n’ayant encore à eux de nations considérables que celle des Chicacas, avec lesquels nous sommes en pourparlers de paix, et les Chouanons, dans l’espérance d’avoir plus facilement de nous toutes les denrées d’Europe et à meilleur marché qu’eux, en ce que nous leur porterons par les rivières au lieu que les anglais leurs portent par les terres sur des chevaux. C’est ce que je leur ai fait proposer l’année dernière , et ils m’ont promis de se trouver à une assemblée de tous les chefs des nations, qui se doit faire au fort du Mississipi au printemps suivant prochain, ou il sera facile de les engager à faire une paix générale entre eux et à nous remettre les anglais interprètes, qu’ils ont dans leurs villages moyennant quelque présent et y établir aussitôt des missionnaires qui les contiendront dans nos intérêts et attireront un très grand nombre de peuples à la religion . »
Comme résultat de cette politique, juste avant la Guerre de Sept ans, les Français, avec 25 fois moins de population, encerclaient les treize colonies et les acculaient à une étroite bande à l’est des Appalaches.
En contraste de cette façon de voir, Silas Deane, le représentant du Comité de Sureté du Connecticutt, dans une lettre datée du 13 novembre 1774 à Samuel Adams expliquera ainsi la nécessité de s’opposer à l’Acte de Québec et de continuer l’expansion américaine qu’il identifiait comme une question de vie ou de mort pour la cause de l’humanité toute entière: «L’extension et l’établissement des colonies de protestants vers l’ouest occasionneront non seulement ce que nous souhaitons, mais elles seront aussi dans les temps à venir notre plus grande force et sécurité. Une autre rangée de colonies, si l’on peu dire, établie derrière nous, deviendra pour nous une ressource inépuisable, et nous rendra humainement parlant invincibles même si les puissances réunies du monde entier devaient nous attaquer. Regardez la carte, et constatez la situation des contrées entre les 40º et 45º parallèles sur tout le continent. Voilà l’héritage de la Nouvelle-Angleterre qu’ont conquis pour ses habitants leurs ancêtres aussi légitimement que chaque acre de terre qu’ils possèdent présentement. Une fois ces terres peuplées par nos gens et leurs descendants, ils pourront établir leur loi non seulement en l’Amérique du Nord et du Sud, mais dans le monde entier, s’ils le désirent.
«Celui-ci doit être et devenir le pays le plus indépendant de la planète. Ses mers intérieures ou grands lacs, et ses fleuves s’étendant à travers tout ce continent entre ces deux parallèles, et son extrémité ouest nous mène jusqu’à la porte même des trésors de l’Est et du Sud. Si la contemplation de ces évènements futurs nous réjouis, alors chaque effort de notre part pour les amener à maturité, s’il est réussi, les réalise par degrés. Ceci peut difficilement être qualifié simplement de fantaisie de l’imagination, mais plutôt du plaisir d’anticiper de grandes et importantes réalités telles que celles qui nous pressent actuellement, et à l’avènement desquelles, le bonheur de l’humanité s’y trouve le plus profondément intéressé.»
Du côté américain, les guerres franco-indiennes (1689-1697) contre Frontenac permirent de consolider l’alliance historique du leadership Mather-Penn parmi les neuf colonies américaines. De plus, le Congrès de 1689 mena également à un certain nombre de développements cruciaux. Penn et Mather décidèrent de développer les industries minières du charbon et du fer ainsi qu’un système de canalisation permettant l’acheminement des biens des colonies américaines de l’intérieur du continent vers le reste du monde. C’est à la lumière de ces projets intercoloniaux qu’il faut voir le développement des forges de Saugus au Massachusetts qui firent l’objet d’un financement par le premier système de crédit public connu sous le nom de «script», le papier-monnaie précurseur du système de crédit constitutionnel d’Alexander Hamilton. C’est ce même système de crédit américain qui est requis aujourd’hui pour sortir de la crise financière internationale.
Le Congrès de 1689 fut, en réalité, le tout premier Congrès des Etats-Unis. Jusqu’à ce moment-là, les neuf colonies américaines avaient été indépendantes les unes des autres, et certaines étaient même hostiles entre elles. Chacune avait ses propres façons de gouverner et ses propres problèmes à régler avec la Grande-Bretagne. Mais, après cette date fatidique de 1689, elles eurent toutes un même but en commun : se débarrasser des oligarchies britannique ou française et mettre en œuvre leur Destinée manifeste. Ceci fut donc pour les colonies américaines la première occasion historique d’agir ensemble et d’une manière concertée. Elles l’ont fait et l’idée des États-unis était née! Tel que l’a montré Graham Lowry dans, How the Nation Was Won, ce moment décisif coïncida avec le coup d’état contre le représentant de sa catholique majesté James II en Nouvelle Angleterre, le Gouverneur Andros (1688-89), qui permit l’émergence d’une Nouvelle Angleterre à nouveau libre et économiquement viable qui pouvait se consacrer à l’expansion continentale vers l’ouest .
A la suite du traité d’Utrecht (1713), les Anglais contrôlaient le territoire de Rupert avec la Compagnie de la Baie d’Hudson, l’Acadie et Terre Neuve mais les Français contrôlaient le territoire à l’ouest des Appalaches jusqu’au Golf du Mexique. Après le traité d’Aix-Lachapelle (1748) où, les Britanniques trahissaient leurs colonies et rendaient Louisbourg aux Français, les Virginiens commencèrent à coloniser des terres à l’ouest des Appalaches pendant que les Français bâtissaient une série de forts et d’avant-postes le long de la Rivière Ohio pour les en empêcher. C’est à cette époque que le jeune George Washington fut envoyé dans cette région afin d’aménager une défensive américaine, un acte que les Français utilisèrent comme prétexte pour déclencher leur seconde guerre franco-indienne (1754-1760), prélude à la guerre de 7 ans. Ainsi, le grand saut au-delà des Appalaches jusqu’à la vallée de l’Ohio devint la pièce de résistance du développement économique souverain, ce que tentait de réaliser pour lui-même ce nouvel état-nation qui allait devenir la république des États-unis.
Lyndon LaRouche a très bien démontré comment cette stratégie de la Destinée manifeste remonte, en fait, à 700 av. J.-C., à l’époque de Solon d’Athènes et avant les Académies pythagoricienne et platonicienne. Il a démontré comment cette stratégie était, à l’origine, concentrée sur la défense de la civilisation grecque contre la domination orientale du modèle oligarchique Perse (la putain de Babylone). Durant les Guerres du Péloponnèse, la civilisation grecque fut pourtant presque totalement détruite par les politiques abrutissantes répandues par les prêtres malfaisants du culte Perse d’Apollon à Delphes et par leurs complices, les sophistes. Le christianisme, avec son insistance sur la liberté de conscience et son évangélisation, reprenait cette idée de Destinée manifeste.
Suite à l’effondrement d’Athènes et à celui de l’Empire romain, la Destinée manifeste fut momentanément ravivée par les efforts œcuméniques de Charlemagne (en 800) en alliance avec la Renaissance islamique d’Haroun al Rashid et en collaboration avec le royaume juif du Khazar (aujourd’hui l’Ukraine). Mais, peu après la mort de Charlemagne, le même type de clergé gnostique de Delphes fut déployé par Venise qui tenta de détruire l’Église catholique par l’entremise d’une papauté ultramontaine dirigée par les Bénédictins, les Dominicains, et plus tard les Jésuites, tous manipulés par Venise. Ce fut, par exemple, sous l’influence particulièrement néfaste du Pape Bénédictin Hildebrand (1073-1085) que les Croisades furent inaugurées en vue de détruire ce qui restait de la civilisation occidentale. Le résultat fut tel que, pendant trois siècles, l’Europe tout entière s’est trouvée engloutie dans un Âge des ténèbres.
La stratégie de la Destinée manifeste a été ravivée, encore une fois, lorsque le grand Cardinal Nicholas de Cues travailla à une conception œcuménique permettant de réunir l’Église orthodoxe orientale avec l’Église catholique romaine lors du Concile de Florence (1431-1445) et qu’il développa, dans son ouvrage, Concordancia Catholica, le principe du consentement des gouvernés qui allait devenir le principe fondamental de l’état-nation moderne gouverné par ses propres représentants- ce qui servit de base aux premiers état-nations créés par Louis XI en France et d’Henry VII en Angleterre. Quelques décennies plus tard, ce sont les précieuses coordonnées cartographiques de Toscanelli, un proche de Nicholas de Cues, qui allait donner les moyens à Christophe Colomb de chercher des territoires à l’abri des oligarchies européennes et de la proverbiale putain de Babylone orientale. Bien sûr, l’Utopie (1515) de Thomas More, avec sa proposition d’expansion républicaine s’inscrit dans cette tradition comme l’a bien compris Rabelais qui réprend cette idée dans le Pantagruel (1532).
Suivant l’exemple de Nicholas de Cues, John Winthrop (1587-1649) réussit à implanter solidement une République puritaine dans la Massachusetts Bay Colony, le premier Commonwealth populaire dans le monde entier à se gouverner lui-même- d’une façon complètement indépendante de l’Angleterre (jusqu’à l’imposition du gouverneur Andros par James II). C’est à partir de cette colonie libérée que Cotton Mather a organisé le Congrès de 1689.
Du point de vue stratégique des ondes longues de l’histoire universelle, le Congrès colonial de 1689 est l’ancêtre de la Guerre d’Indépendance de l’Amérique contre les Actes Intolérables britanniques, incluant l’Acte de Québec de 1774, qui visaient clairement à anéantir la Destinée manifeste. Ceci signifie que l’invasion du Canada de 1690, par William Phipps, était déjà une ébauche de l’invasion de Montréal de 1775 par le général Richard Montgomery. Ainsi, 1689 représentait un point tournant décisif de la phase historique américaine de la Destinée manifeste dont l’évolution continue fut ponctué par dix bornes historiques cruciales, depuis la naissance de la civilisation occidentale il y a plus de 2 700 ans :
1) 700 av. J.-C. : La naissance de la civilisation grecque occidentale : Solon d’Athènes et Thalès de Milet;
2) 350 av. J.-C. : Les Académies pythagoricienne et platonicienne;
3) 0 : La naissance de Jésus de Nazareth et l’origine du Christianisme;
4) 800 : La stratégie œcuménique juive, islamique et chrétienne de Charlemagne et la Renaissance islamique d’Haroun Al-Rashid;
5) 1439 : Le Concile œcuménique de Florence par Nicolas de Cues;
6) 1648 : La Paix de Westphalie du Cardinal Mazarin;
7) 1689 : Le premier Congrès américain de Cotton Mather et William Penn à New York;
8) 1776 : La Déclaration d’indépendance américaine suivie de la Doctrine Monroe, par John Quincy Adams;
9) 1860 : La loi du Homestead Act et le financement des voies ferrées transcontinentales par le gouvernement des États-Unis sous la présidence d’Abraham Lincoln;
10) 2007 : L’héritage du Nouveau Bretton Woods de Franklin Delano Roosevelt et la stratégie de Lyndon LaRouche pour la construction du pont terrestre eurasiatique et du tunnel sous le Détroit de Béring, reliant les Amériques et l’Eurasie : La seconde Paix de Westphalie.
2-La Destinée Manifeste et l’Acte de Québec
En réponse à l’Acte de Québec qui donnait un caractère permanent au confinement des colonies américaines, le Congrès général dans ses déclarations et résolutions du 14 octobre 1774 qualifiait l’Acte de Québec d’Acte « injuste et cruel, aussi bien qu’anti-constitutionnel, et comme étant l’Acte le plus dangereux et le plus destructeur des droits américains. »
Silas «Ticonderoga» Deane, champion de l’idée de Destinée manifeste, proposait ainsi dans une lettre à Samuel Adams, Président du Comité de Sûreté pour la colonie du Massachusetts, de faire appel à une immigration européenne en grand nombre (jusqu’à un million de colons) pour aller prendre possession immédiate des concessions territoriales de la région de Détroit. Il considérait que «Ce plan, ou un autre semblable, triomphera efficacement de l’intention de l’Acte de Québec qui, s’il n’était pas contrecarré se révélerait plus fatalement dommageable aux colonies américaines que toutes les lois qu’a jamais pu rédiger ou imaginer le ministère.»
Cependant, ce n’est pas seulement le fait que leur légitime développement vers l’ouest soit stoppé que les colonies dénoncent, c’est également le fait que c’est un gouvernement tyrannique qui est établie dans la province voisine et que cela même est contraire à l’idée de Destinée manifeste. C’est à dire que le problème n’en est pas un de race ou de religion ou de langue, les représentants américains conçoivent très bien que c’est une question de système oligarchique contre système républicain.
Ainsi le 21 octobre 1774, John Jay, qui fut le premier Juge en chef de l’État de New York, écrivit une lettre ouverte à la population de la Grande-Bretagne, dans laquelle il dénonçait l’Acte de Québec de la manière la plus explicite – notamment pour s’opposer aux garanties d’autogouvernement promises par la proclamation royale de 1763: «Durant la session parlementaire que nous venons de mentionner, un acte fut voté afin de changer le gouvernement du Québec, et grâce auquel la religion Catholique Romaine, au lieu d’être tolérée, comme il est stipulé dans le Traité de Paix [1763], fut promulguée. De plus, la population a été privée du droit d’avoir une assemblée, privée du droit de procès avec jurés, et les lois anglaises pour les procès civils ont été abolies et remplacées par des lois françaises, en violation directe des promesses de la Proclamation Royale de sa majesté, et sous la foi de laquelle de nombreux sujets anglais s’étaient établis dans cette province. De plus, les limites de cette province furent étendues au point d’inclure ces vastes régions qui sont adjointes à nos colonies, dans le Nord et dans l’Ouest. » C’est le texte original qui fut par la suite condensé puis inséré dans la Déclaration d’indépendance américaine.
Durant la même journée du 21 octobre 1774, Patrick Henry de la Virginie écrivait la lettre suivante au roi d’Angleterre, George III : « Jugez, Monsieur le Roi : quels doivent être nos sentiments lorsque nous voyons les sujets de cette Ville et de cette Colonie [le Québec] souffrant d’une punition tellement sévère que toute l’histoire britannique n’en donne aucun autre exemple et que les Annales des Tyrans arrivent à peine à égaler ? Et lorsque nous voyons, dans la destinée de notre Colonie sœur, ce qui doit nous arriver, nous sommes tourmentés par les plus grandes appréhensions – Appréhensions qui sont accrues et élevées presque jusqu’au Désespoir, lorsque nous tournons notre attention sur l’Acte de Québec. »
3. L’invitation du Congrès américain aux Canadiens
L’intervention américaine la plus importante contre l’Acte de Québec fut lancée par le Sénateur de la Virginie, Richard Henry Lee, sous la forme d’une lettre de 18 pages rédigée au nom du Congrès général de l’Amérique Septentrionale et adressée Aux habitants de la Province de Québec et qui les enjoignait de répudier l’Acte de Québec et de joindre la Révolution américaine. À noter, en particulier, l’écho implicite de la Paix de Westphalie et la référence constante au principe de l’avantage de l’autre.
« […] Les outrages que souffre la ville de Boston ont alarmé et uni ensemble toutes les Colonies, depuis la Nouvelle-Écosse jusqu’à la Georgie, votre province est le seul anneau qui manque pour compléter la chaîne forte et éclatante de leur union. Votre pays est naturellement joint au leur, joignez-vous aussi dans vos intérêts politiques ; leur propre bien- être permettra jamais qu’ils vous abandonnent ou qu’ils vous trahissent : soyez persuadés que le bonheur d’un peuple dépend absolument de sa liberté et de son courage pour la maintenir. La valeur et l’étendue des avantages que l’on vous offre sont immenses ; daigne le ciel ne pas permettre que vous ne reconnaissiez ces avantages pour le plus grand des biens que vous pourriez posséder, qu’après qu’ils vous auront abandonnés à jamais.
« Nous connaissons trop bien la noblesse de sentiment qui distingue votre nation, pour supposer que vous fussiez retenus de former des liaisons d’amitié avec nous par les préjugés que la diversité de religion pourrait faire naître. Vous savez que la liberté est d’une nature si excellente qu’elle rend, ceux qui s’attachent à elle, supérieurs à toutes ces petites faiblesses. Vous avez une preuve bien convaincante de cette vérité dans l’exemple des Cantons suisses, lesquels quoique composés d’états Catholiques et Protestants, ne laissent pas cependant de vivre ensemble en paix et en bonne intelligence, ce qui les a mis en état depuis qu’ils se sont vaillamment acquis leur liberté, de braver et de repousser tous les tyrans qui ont osé les envahir. […] »
Après avoir rappelé aux Canadiens français la valeur des « droits inestimables » qu’avait selon eux promis la Proclamation royale de 1763 et qu’avait rejeté les Canadiens avec l’Acte de Québec à savoir 1) le droit de participer à son propre gouvernement ; 2) le droit de subir un procès avec jurés ; 3) le droit de la liberté de la personne avec requête en « habeas corpus » ; 4) le droit de posséder des lopins de terres sans dépendre de corvées souvent très gênantes dues au seigneur ; et 5) le droit de la liberté de presse, cette lettre donnait une critique extraordinaire de l’Acte de Québec en identifiant toutes ses faiblesses point par point. La lettre de Richard Henry Lee se déroulait comme si elle avait été un véritable briefing sur les conditions et avantages socio-économiques d’une Amérique du Nord indépendante et sur les désavantages considérables de devoir subir la dépendance de l’oligarchie britannique. Lee ajoutait :
« Ce sont là ces droits inestimables qui forment une partie considérable du système modéré de notre gouvernement, laquelle en répandant sa force équitable sur tous les différents rangs et classes de citoyens, défend le pauvre du riche, le faible du puissant, l’industrieux de l’avide, le paisible du violent, les vassaux des Seigneurs, et tous de leurs supérieurs.
« Ce sont là ces droits sans lesquels une nation ne peut pas être libre et heureuse, et c’est sous la protection et l’encouragement que procure leur influence que ces Colonies ont jusqu’à présent fleuri et augmenté si étonnement. Ce sont ces mêmes droits qu’un ministère abandonné tâche actuellement de nous ravir à main armée, et que nous sommes tous d’un commun accord résolus de ne perdre qu’avec la vie. Tels sont enfin ces droits qui vous appartiennent, et que vous devriez dans ce moment exercer dans toute leur étendue.
« Mais que vous offre-t-on à leur place par le dernier Acte du Parlement ? La liberté de conscience pour votre religion : non, Dieu vous l’avait donnée, et les Puissances temporelles avec lesquelles vous étiez et êtes à présent en liaison, ont fortement stipulé que vous en eussiez la pleine jouissance : si les lois divines et humaines pouvaient garantir cette liberté des caprices despotiques des méchants, elle l’était déjà auparavant. A-t-on rétabli les lois françaises dans les affaires civiles ? Cela paraît ainsi, mais faites attention à la faveur circonspecte des Ministres qui prétendent devenir vos bienfaiteurs ; les paroles du Statut sont, ‘que l’on se règlera sur ces lois jusqu’à ce qu’elles aient été modifiées ou changées par quelques ordonnances du Gouverneur et du Conseil.’
« Est-ce qu’on vous assure pour vous et votre postérité, la certitude et la douceur de la loi criminelle d’Angleterre avec toutes ses utilités et avantages, laquelle on loue dans le dit Statut, et que l’on reconnaît que vous avez éprouvé très sensiblement ? Non, ces lois sont aussi sujettes aux ‘changements’ arbitraires du Gouverneur et du Conseil, et on se réserve en outre très expressément le pouvoir d’ériger ‘telles Cours de judicature criminelle, civile et ecclésiastique que l’on jugera nécessaires.’
« C’est de ces conditions si précaires que votre vie et votre religion dépendent seulement de la volonté d’un seul. La Couronne et les Ministres ont le pouvoir autant qu’il a été possible au parlement de le concéder, d’introduire le tribunal de l’Inquisition même au milieu de vous.
« Avez-vous une assemblée composée d’honnêtes gens de votre propre choix sur lesquels vous puissiez vous reposer pour former vos lois, veiller à votre bien-être, et ordonner de quelle manière et en quelle proportion vous devez contribuer de vos biens pour les usages publics ? Non, c’est du Gouverneur et du Conseil que doivent émaner vos lois, et ils ne sont eux-mêmes que les créatures du Ministre, qu’il peut déplacer selon son bon plaisir. En outre, un autre nouveau Statut formé sans votre participation vous a assujettis à toute la rigueur d’un impôt sur les denrées que l’on nomme Excise, impôt détesté dans tous les états libres. En vous arrachant ainsi vos biens par la plus odieuses de toutes les taxes, vous êtes encore exposés à voir votre repos et celui de vos familles troublés par des collecteurs insolents, pénétrant à chaque instant jusque dans l’intérieur de vos maisons, qui sont nommées les Forteresses des Citoyens Anglais dans les livres qui traitent de leur lois.
« Dans ce même Statut qui change votre Gouvernement, et qui paraît calculé pour vous flatter, vous n’êtes point autorisés ‘à vous cotiser pour lever et disposer d’aucun impôt ou taxe, à moins que ce ne soit dans des cas de peu de conséquence, tels que faire des grands chemins, de bâtir ou de réparer des édifices publics ou pour quelqu’autres convenances locales dans l’enceinte de vos villes et districts.’ Pourquoi cette distinction humiliante ? Est-ce que les biens que les Canadiens se sont acquis par une honnête industrie ne doivent pas être aussi sacrés que ceux des Anglais? L’entendement des Canadiens serait-il si borné qu’ils fussent hors d’État de participer à d’autres affaires publiques qu à celle de rassembler des pierres dans un endroit pour les entasser dans un autre ?
“Peuple infortuné qui est non seulement lésé, mais encore outragé. Ce qu’il y a de plus fort, c’est que suivant les avis que nous avons reçus, un ministère arrogant a conçu une idée si méprisante de votre jugement et de vos sentiments, qu’il a osé penser, et s’est même persuadé que par un retour de gratitude pour les injures et les outrages qu’il vous a récemment offert, il vous engagerait, vous nos dignes Concitoyens, à prendre les armes pour devenir des instruments en ses mains, pour l’aider à nous ravir cette liberté dont sa perfidie vous a privée, ce qui vous rendrait ridicules et détestables à tout l’Univers.
« Le résultat inévitable d’une telle entreprise, à supposer qu’elle réussisse, serait l’anéantissement total des espérances que vous pourriez avoir, que vous et votre postérité fussent jamais rétablis dans votre liberté : car à moins d’être complètement privé du sens commun, il n’est pas possible de s’imaginer qu’après que vous auriez été employés dans un service si honteux, ils vous traitassent avec moins de rigueur que nous qui tenons à eux par les liens du sang.
« Qu’aurait dit votre compatriote l’immortel Montesquieu, au sujet du plan de Gouvernement que l’on vient de former chez vous ? Écoutez ses paroles avec cette attention recueillie que requiert l’importance du sujet. ‘Dans un État libre, tout homme qui est sensé avoir une âme libre, doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps ait la puissance législative; mais comme cela est impossible dans les grands états et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse, par ses représentants, tout ce qu’il ne peut faire par lui-même.’ – ‘La liberté politique dans un Citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un Citoyen ne puisse pas craindre un autre Citoyen. Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de Magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même Monarque ou le même Sénat ne fassent des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.
« La puissance de juger ne doit pas être donnée à un Sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple dans certains temps de l’année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu’autant que la nécessité le requiert. »
« […] Nous ne requérons pas de vous dans cette adresse d’en venir à des voies de fait contre le Gouvernement de notre Souverain, nous vous engageons seulement à consulter votre gloire et votre bien-être, et à ne pas souffrir que des Ministres infâmes vous persuadent et vous intimident jusqu’au point de devenir les instruments de leur cruauté et de leur despotisme. Nous vous engageons aussi à vous unir à nous par un pacte social, fondé sur le principe libéral d’une liberté égale, et entretenu par une suite de bons offices réciproques, qui puissent le rendre perpétuel. À dessein d’effectuer une union si désirable, nous vous prions de considérer s’il ne serait pas convenable que vous vous assembliez chacun dans vos villes et districts respectifs, pour élire des députés de chaque endroit qui formeraient un Congrès Provincial, duquel vous pourriez choisir des Délégués pour être envoyés, comme les représentants de votre Province, au Congrès général de ce continent qui doit ouvrir ses séances à Philadelphie, le 10 de Mai 1775. »
Le point qu’il faut bien comprendre ici, et que cette lettre du Congrès général démontre avec la plus grande clarté, est que tous les événements historiques qui se déroulèrent depuis plus de deux siècles et qui contribuèrent à former le caractère national du Canada, y compris surtout les conflits entre les parties anglaise et française de sa population, furent entièrement causés par la nature fallacieuse de cet Acte frauduleux qui donna naissance au Québec.
Cela veut dire qu’il est impossible de comprendre l’histoire du Canada, ni même de faire une quelconque référence à sa spécificité historique, à moins de se référer explicitement au congrès de 1774 et à la Déclaration d’Indépendance. C’est cette lettre du Congrès américain, et rien d’autre, qui fait, pour toujours, le véritable bilan concernant la question de l’indépendance du Québec. L’indépendance du Québec, c’est celle du Canada par rapport à l’oligarchie britannique.
Et 233 ans plus tard, cette indépendance passe nécessairement par la victoire finale et mondiale contre l’oligarchie britannique que constituerait le lancement de grands projets d’infrastructure comme le tunnel sous le détroit de Béring.
C’est donc dans cet esprit de Destinée manifeste qu’il est maintenant nécessaire de rompre les chaînes de l’oligarchisme britannique et de libérer les peuples de la terre tout entière. Au boulot ! Cap sur l’ouest, jeune homme !