Par Matthew Ehret (Traduit par Marie-Josee Yannonie)

Il y a quelques mois, un scandale a éclaté lorsque le président Poutine a pris le temps de dénoncer la révolution bolchévique au club de discussion Valdai en déclarant :

“Il y a un peu plus d’un siècle, la Russie était objectivement confrontée à de graves problèmes… La Russie aurait pu traiter ses problèmes progressivement et de manière civilisée. Mais les chocs révolutionnaires ont conduit à l’effondrement et à la désintégration d’une grande puissance… Ces exemples de notre histoire nous permettent d’affirmer que les révolutions ne sont pas un moyen de régler une crise mais, bien au contraire, un moyen de l’aggraver. Aucune révolution ne valait les dommages qu’elle a causés au potentiel humain.”

Comment un homme d’État si critique à l’égard des abus du capitalisme et si habile à combattre les structures de l’impérialisme moderne peut-il déplorer la révolution bolchevique qui a donné naissance à la Russie soviétique ? Poutine ne respecte-t-il pas les réalisations de la Russie soviétique, notamment les sacrifices consentis pour abattre Hitler ? Comment Poutine pourrait-il être un véritable anti-impérialiste s’il est un anti-révolutionnaire ?

Pour contribuer à la résolution de ce paradoxe, permettez-moi de commencer en disant qu’il ne s’agit pas d’un paradoxe.

Le fait est que Vladimir Poutine est à la fois un anti-impérialiste et un révolutionnaire, mais pas de la manière dont on pourrait l’imaginer. Pour comprendre ce que je veux dire, une certaine leçon d’histoire récente s’impose.

Abandon d’un système de coopération gagnant-gagnant

La triste réalité est que ni les bolcheviks ni les mencheviks qui ont émergé sur la scène de l’histoire au tournant du 20e siècle n’étaient des “mouvements populaires” nés de manière organique.

Après une analyse plus approfondie menée par des historiens comme Anthony Sutton, Kerry Bolton et Robert Cowley, les deux organisations, qui ont fini par fusionner en une force unique, ont bénéficié du vaste patronage financier de puissances impériales occidentales telles que Paul Warburg, Jacob Schiff (à la tête de Kuhn, Loeb & co.) et même Lord Alfred Milner – à la tête du mouvement de la Table Ronde nouvellement formé.

Ces personnages ont financé une grande partie du mouvement bolchevique dès 1905 afin de détruire un processus véritablement révolutionnaire qui se répandait dans une grande partie du monde à la suite de la guerre civile.

L’un des principaux champions de ce processus révolutionnaire était l’ancien garde du corps de Lincoln et le premier gouverneur du Colorado, William Gilpin. Le gouverneur Gilpin imaginait un monde d’États-nations souverains unis par des lignes ferroviaires traversant le détroit de Béring et amenant tous les continents et toutes les cultures à une coexistence harmonieuse. Dans son célèbre ouvrage de 1890 intitulé “Cosmopolitan Railway”, Gilpin déclare :

“Le chemin de fer cosmopolite fera du monde entier une seule communauté. Il réduira les nations séparées en familles de notre grande nation… De l’intercommunication étendue naîtra un plus large échange d’idées humaines et, par conséquent, des réciprocités logiques et philosophiques, qui deviendront les germes d’innombrables nouveaux développements ; car sur la voie de l’intercommunication, l’entreprise et l’invention vont invariablement de pair et tout ce qui facilite l’une stimule toutes les autres agences de progrès”.

Décrivant la fraternité évidente de la Russie et des États-Unis dans la réalisation de ce projet, Gilpin écrit :

“C’est une proposition simple et claire que la Russie et les États-Unis, qui possèdent chacun de vastes régions inhabitées et des ressources inexploitées illimitées, pourraient, en dépensant deux ou trois cents millions de dollars chacun pour la construction d’une autoroute des nations à travers leurs régions actuellement désertées, multiplier par cent leur richesse, leur puissance et leur influence. Les nations qui peuvent dépenser des milliers de vies – les vies des meilleurs et des plus braves de leurs fils et de leurs citoyens – dans la guerre peuvent certainement se permettre de consacrer un peu de leur surplus de richesse et d’énergie à une œuvre telle que celle-ci.” [p.35]

Le système américain se mondialise

Gilpin n’était pas seul dans cette vision.

En effet, il représentait un réseau d’hommes d’État répartis dans le monde entier qui reconnaissaient que la seule façon de sortir du cycle sans fin de guerres, d’usure et de corruption que les structures hobbesiennes de l’Empire britannique maintenaient dans le monde entier était d’adopter un système anti-libre-échange connu sous le nom de “Système américain d’économie politique”. Il s’agissait d’une conception très différente de “l’Amérique” par rapport à la Pax Americana qui malmène le monde depuis la Seconde Guerre mondiale.

En Russie, ce processus a trouvé son champion en la personne de Sergei Witte (ministre des finances et ministre des transports de 1892 à 1903), qui a mené une faction de l’intelligentsia russe dans une lutte pour le progrès et la coopération, tant à l’intérieur qu’avec les nations alliées, contre de puissantes forces attachées au féodalisme, tant au sein de l’oligarchie russe qu’à l’extérieur. Les forces régressives auxquelles Witte devait faire face comprenaient de puissantes forces réactionnaires traditionalistes qui se languissaient du bon vieux temps où le tsar Alexandre II libérait les serfs et, à l’autre extrême, l’émergence de vastes groupes de mouvements anarchistes menaçant de brûler l’État dans une réplique de la frénésie jacobine de la révolution française.

Comme Martin Sieff l’a démontré dans ses nombreux écrits sur le prince Kropotkine, nombre de ces réseaux anarchistes bénéficiaient du patronage de forces puissantes qui se souciaient peu du sort de la classe ouvrière.

La propagation internationale du système américain entre 1876 et 1905 a pris la forme d’une industrialisation à grande échelle et d’un réseau de chemins de fer. Le mécanisme de financement se trouvait dans une pratique tombée en désuétude en Occident (mais qui a fait un retour en force en Chine ces dernières années), le “dirigisme” – l’émission de crédits productifs par les banques d’État.

C’est Witte qui a été le fer de lance de la construction du chemin de fer transsibérien entre 1890 et 1905, avec des plans pour étendre les lignes de chemin de fer vers la Chine et au-delà, en utilisant des capitaux dirigés par l’État et un mélange d’entreprises privées. Un exposé plus complet du combat de Witte sera dévoilé dans le prochain épisode.

L’Empire britannique, qui s’est toujours appuyé sur la division des nations, leur sous-développement et leur dépendance à l’égard de la navigation maritime, n’a pas trouvé cela drôle du tout.

En contrôlant les goulots d’étranglement maritimes internationaux, la petite île est en mesure d’exercer son influence sur le monde entier. Grâce à l’application vigoureuse des doctrines de laissez-faire du libre-échange, les nations n’ont pas pu se protéger de la guerre financière lancée par la ville de Londres contre les États victimes (volatilité spéculative, usure, dumping à bas prix, culture de l’argent et trafic de drogue). Toute personne souhaitant s’engager dans une planification à long terme de la construction de corridors de transport terrestres à travers les chemins de fer, les routes et l’industrie serait facilement sabotée si le système britannique façonnait son monde.

Le mouvement international visant à briser ce système du mal était le seul véritable processus révolutionnaire animant le monde à cette époque.

La contre-révolution bolchévique : Une fraude anglo-américaine

En 1905, le financier de Wall Street Jacob Schiff a donné 200 millions de dollars aux Japonais pour les aider à remporter la victoire contre les Russes lors de la guerre russo-japonaise de 1904-05. Cette générosité a valu au banquier de recevoir la médaille du Soleil Levant au palais Meiji en 1907.

Après avoir paralysé l’État et l’armée russes (sa marine a été anéantie pendant la guerre), Schiff s’est tourné vers la Russie même pour financer les activités révolutionnaires. Il était difficile de dire comment l’argent était dépensé par Schiff jusqu’en 1949, lorsque le petit-fils de Schiff, John Schiff, se vanta au New York Journal que son grand-père avait donné 20 millions de dollars “pour le triomphe du communisme en Russie”.

Le journaliste américain, et atout de Schiff, George Kennan a joué un rôle instrumental en tant que gestionnaire de la perception de la révolution et s’est vanté d’avoir converti 52 000 soldats russes emprisonnés au Japon en révolutionnaires bolcheviques. On peut lire dans une interview du 24 mars 1917 enregistrée dans le New York Times célébrant la révolution :

” M. Kennan a parlé du travail des Amis de la Liberté Russe dans la révolution. Il a dit que pendant la guerre russo-japonaise, il était à Tokyo et qu’il avait été autorisé à rendre visite aux 12 000 prisonniers russes aux mains des Japonais à la fin de la première année de la guerre. Il avait conçu l’idée de mettre de la propagande révolutionnaire entre les mains de l’armée russe.

Les autorités japonaises furent favorables à l’idée et lui donnèrent la permission. Après quoi, il envoya chercher en Amérique toute la littérature révolutionnaire russe disponible… (cette phrase n’est pas terminée dans son texte)

“Le mouvement a été financé par un banquier new-yorkais que vous connaissez et aimez tous”, a-t-il déclaré, en faisant référence à M. Schiff, “et nous avons rapidement reçu une tonne et demie de propagande révolutionnaire russe. À la fin de la guerre, 50 000 officiers et hommes de troupe russes, désormais ardents révolutionnaires, sont rentrés dans leur pays. Les Amis de la Liberté Russe avaient semé 50 000 graines de liberté dans 100 régiments russes. Je ne sais pas combien de ces officiers et de ces hommes se trouvaient dans la forteresse de Petrograd la semaine dernière, mais nous savons quelle part l’armée a prise à la révolution.”

Schiff lui-même a déclaré avec jubilation au New York Times, le 18 mars 1917 :

“Permettez-moi, par l’intermédiaire de vos colonnes, d’exprimer ma joie de voir que la nation russe, un grand et bon peuple, a enfin réussi à se libérer de siècles d’oppression autocratique et que, grâce à une révolution presque sans effusion de sang, elle est maintenant devenue elle-même. Que Dieu soit loué !

L’historien Kerry Bolton a écrit au sujet du directeur de la Réserve fédérale de New York, William Boyce Thompson, installé à la tête de la Croix-Rouge américaine pendant la révolution de 1917 et largement reconnu comme le véritable ambassadeur des États-Unis auprès du gouvernement, en disant :

“Thompson s’est installé de façon royale à Petrograd en rendant compte directement au président Wilson et en contournant l’ambassadeur américain Francis. Thompson a fourni des fonds de son propre argent, d’abord aux socialistes révolutionnaires, à qui il a donné un million de roubles, et peu après, 1 000 000 $ aux bolcheviks pour qu’ils diffusent leur propagande en Allemagne et en Autriche.

En 1962, l’historien Arsène de Goulevitch, qui a vécu les événements de 1917 de première main, a écrit :

“Lors d’entretiens privés, on m’a dit que plus de 21 millions de roubles avaient été dépensés par Lord Alfred Milner pour financer la révolution russe… Le financier que je viens de mentionner n’était nullement le seul parmi les Britanniques à soutenir la révolution russe par d’importants dons financiers.” (1)

Selon ses propres dires, pendant les quatre mois que Léon Trotsky a passés à New York en 1917, il a passé une grande partie de son temps à fréquenter la haute société de Wall Street et à se faire conduire en limousine (2).


La trahison immortelle de Léon Trotsky


Léon Trotsky, que Lord Milner, Schiff, Paul Warburg, etc., ont toujours voulu voir devenir le chef du mouvement qui prendrait le contrôle des cadavres des Romanov, a heureusement été évincé par les forces plus saines de Joseph Staline en 1927.

Comme le documente magistralement l’historien Grover Furr en utilisant des documents récemment déclassifiés, des témoignages et d’autres preuves provenant d’archives aux États-Unis et en Russie, Léon Trotski a tenté à plusieurs reprises de revenir au pouvoir en Russie après son expulsion. Il n’a cependant pas agi seul, mais en grande partie avec l’aide des forces fascistes de la Grande-Bretagne, du Japon, de l’Ukraine et de l’Allemagne, et ce jusqu’à sa mort prématurée en 1940. Cela fera l’objet d’une prochaine revue de l’ouvrage de Grover Furr (3).
Malgré tous les nombreux problèmes de Lénine, il différait de Trotsky sur deux points interconnectés : 1) une croyance générale en le volontarisme et 2) un rejet de la théorie de la révolution permanente.

Alors que Lénine croyait que le travail productif pouvait être canalisé vers l’amélioration des forces productives de la société, Trotsky pensait que tout effort d’amélioration productive pacifique ne pouvait mener qu’à la décadence. La révolution permanente était donc nécessaire pour empêcher les travailleurs de tomber dans la paresse au milieu de l’éternel effort de la lutte des classes mondiale. En 1914, un Lénine frustré a parlé du fétichisme de Trotsky en disant : “Il [Trotsky] a déserté les mencheviks et a occupé une position vacillante, coopérant tantôt avec Martynov (l’économiste), tantôt proclamant sa théorie absurde de la “révolution permanente” de gauche.

Un autre point de conflit entre Lénine et Trotsky porte sur la question de savoir si la Russie doit ou non continuer à participer à la Première Guerre mondiale.

Alors que Lénine voulait sortir la Russie de ce conflit insensé dès les premiers instants de leur coup d’État en 1917, Trotski et son proche allié Boukharine exigeaient que la Russie reste dans la guerre dans le but de la convertir en une révolution totale paneuropéenne (et finalement mondiale). L’engagement de Trotsky en faveur d’une révolution socialiste mondiale contre l’engagement de Staline en faveur du “socialisme dans un seul pays” a été au cœur d’un fossé infranchissable entre les deux révolutionnaires au fil des ans.


Parvus et l’Union paneuropéenne


L’association étroite entre Trotsky et Alexandre Israël Helphand (alias Parvus) tout au long de la révolution de 1905 et au-delà est également suspecte et doit être considérée dans le contexte d’une stratégie géopolitique impériale beaucoup plus large.

L’association de Parvus avec l’Union paneuropéenne fondée par le comte Richard von Coudenhove-Kalergi en 1923 est une autre anomalie pertinente qui nous fait découvrir les structures de pouvoir plus profondes qui se cachent sous les vagues de surface de l’histoire (4).

Parmi les autres membres de l’institution de Coudenhove-Kalergi figurent Benito Mussolini, Walter Lippman, le ministre nazi des finances Hjalmar Schacht et le géopoliticien nazi Karl Haushofer, tandis que les financiers Max Warburg, Louis de Rothschild ont financé ouvertement l’organisation.

En 1932, Kalergi a prononcé un discours célébrant la grande restauration de l’ordre qui émergerait de l’effort paneuropéen unifié pour mettre fin à l’anarchisme bolchevique, en disant : “Cette guerre éternelle ne peut prendre fin qu’avec la constitution d’une république mondiale….. Le seul moyen qui reste pour sauver la paix semble être une politique de force pacifique, sur le modèle de l’Empire romain, qui a réussi à avoir la plus longue période de paix en Occident grâce à la suprématie de ses légions.”

Ce groupe a joué un rôle bien plus important dans l’histoire que beaucoup ne le pensent et a préparé le terrain pour l’Union européenne. L’association étroite entre Parvus et Vladimir Jabotinsky a préparé le terrain pour l’émergence des éléments les plus fascistes du sionisme dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, et le travail de Parvus en tant que propagandiste et marchand d’armes pour les dirigeants du mouvement Jeune Turc (déployé pour mettre le feu à un Empire ottoman affaibli et provoquer ce qui est devenu les guerres balkaniques de 1912-13) peut encore être ressenti dans le monde turc jusqu’à ce jour.



Il est intéressant de noter que nul autre qu’Otto von Hapsburg lui-même a dirigé cette organisation pendant plus de 30 ans et a également créé une organisation sœur appelée Dignitae Humanae Institute pour “unir le droit du monde” sous un vernis catholique gnostique avec un changement de marque du Choc des civilisations pour la droite alternative Clash of Civilizations rebranding for the alt right.. Alors que la dissolution ultra-libéralisée de la société se poursuit à un rythme soutenu sous l’effet de la bouillie morale du charabia LBGTXYZ, du culte païen de Gaïa et de la théorie critique des races, il est évident qu’un mouvement vers le conservatisme radical va s’accélérer. Un filet a donc été lancé pour attraper les poissons conservateurs.

Située dans un monastère vieux de 800 ans à Trisulti, l’organisation d’Otto Habsbourg a trouvé un frontman utile sous la forme d’un prêtre fasciste jésuite de l’alt-right américain du nom de… Steve Bannon. (5)

Les trotskystes se transforment en néoconservateurs


Je dis cela ici et maintenant pour établir un parallèle dans l’esprit du lecteur avec l’étrange métamorphose que les principaux trotskystes ont connue aux États-Unis après la mort de leur leader en 1940. Le corps de Trotsky n’était même pas encore froid que des adeptes tels que James Burnham, Max Schachtman, Albert Wohlsetter et Irving Kristol abandonnèrent le socialisme trotskiste et adoptèrent un nouveau paradigme de droite enragée, connu sous le nom de “néo-conservatisme”.

Ce mouvement toxique s’est rapidement développé tout au long de la guerre froide et a pris le contrôle des États-Unis, avec l’assassinat de JFK et de son frère, tout en déclenchant un nouveau désordre mondial, le “choc des civilisations”, une logique du chacun contre tous, sous la surveillance de la Commission trilatérale de Kissinger, Brzezinski et David Rockefeller.

Je pense que nous pouvons nous faire une bonne idée de ce que Trotsky considérait comme la destination finale de ses objectifs de révolution mondiale des masses et de sa volonté de collaborer avec les nazis pour parvenir à ses fins en examinant les écrits de l’ancien trotskiste James Burnham.

Comme l’a souligné Cynthia Chung dans son récent article sur le sujet, Burnham, (l’ancien assistant personnel de Trotsky et un homme connu de beaucoup comme le père des néoconservateurs), voyait la résolution du problème manichéen de la lutte des classes et de la guerre froide dans un gouvernement fasciste mondial unique. Juste avant la mort de Trotsky en 1940, Burnham a écrit un essai dans lequel il renonçait au matérialisme dialectique en faveur de la philosophie supérieure de Bertrand Russell, telle qu’elle est exposée dans les Principia Scientifica de 1913, et ainsi sa renaissance en tant que néoconservateur était assurée (6).

La question qui se pose maintenant est la suivante : La conversion de Burnham à la vision du monde de Russell était-elle incompatible avec les objectifs et la mission réels de Léon Trotsky ?

On oublie trop souvent que Léon Trotsky, en tant que président du conseil technique et scientifique de l’industrie, contrôlait littéralement toute la politique scientifique de la Russie de 1924 à 1925. Au cours de cette période, il a écrit un pamphlet en 1924 dans lequel il exposait sa vision pro-eugénique du futur ordre mondial qui serait mis en place grâce aux forces de la sélection naturelle darwinienne :”L’espèce humaine entrera une fois de plus dans un état de transformation radicale et deviendra, entre ses propres mains, l’objet des méthodes les plus compliquées de sélection artificielle et d’entraînement psycho-physique de masse. Ceci est entièrement en accord avec l’évolution… l’homme se donnera pour but de maîtriser ses propres sentiments, d’élever ses instincts à une conscience supérieure… de créer un type biologique social supérieur, ou si vous voulez, un surhomme.”

Que nous considérions les efforts incessants de Trotsky pour intégrer le darwinisme au matérialisme dialectique marxiste, ou encore l’engagement néoconservateur en faveur d’une éthique darwinienne de survie du plus apte avec une doctrine chrétienne gnostique de la fin des temps, les effets sont largement identiques : Un chaos global avec un supposé point d’enlèvement/synthèse pour résoudre le chaos du monde matériel. Arriver à cette destination, par laquelle un nouvel ordre et un nouvel être humain nietzschéen auraient émerger, nécessitait simplement une expérience de purification.

En ce sens, Trotsky pourrait être comparé à une version russe de son contemporain jésuite Pierre Teilhard de Chardin. Là où Chardin avait pour tâche de fusionner la théorie de la sélection naturelle de Darwin avec le christianisme, Trotsky avait pour tâche de fusionner la théorie de Darwin avec la religion d’Etat du matérialisme dialectique marxiste en Russie. Dans les deux cas, le résultat final était identique.


La révolution mondiale de l’école de Francfort


Cette expérience de purification prendrait la forme d’une apothéose rituelle de violence
purgative qui conduirait à un état de désespoir total et donc à un nouveau sacerdoce scientifique gérant les esclaves de l’autre (not sure I understand here) sous une forme renouvelée de féodalisme technocratique. Mais comment amener la société à un tel état de désespoir que les masses réclameraient à cor et à cri qu’un nouvel âge leur soit imposé sous la forme d’un gouvernement technocratique mondial unique ?

Lorsque le christianisme, le nationalisme et le respect des valeurs familiales gouvernaient encore la société, un tel état de désespoir nihiliste, nécessaire pour atteindre ce point de rupture, était plus que difficile à atteindre.

C’est ici que les associés de Trotsky, Georg Lukacs et Willi Munzenberg, jouent un rôle important.

Les deux hommes furent non seulement des bolcheviks radicaux, mais aussi les fondateurs d’une nouvelle organisation fondée en 1923, l’Institut de Recherche Sociale , à Francfort, en Allemagne, connue sous le nom « d’École de Francfort ».

Ce groupe et son rôle dans la direction de l’éducation de masse et de la culture au cours du siècle suivant feront l’objet d’un prochain rapport.

Post-Scriptum : Un dernier mot de Poutine

Au milieu du discours de Poutine au Club Valdaï, le dirigeant russe (qui est un révolutionnaire, bien qu’il ne soit certainement pas marxiste-léniniste) a dénoncé les ingénieurs sociaux qui se font passer pour des révolutionnaires et des réformateurs sociaux aujourd’hui, faisant un parallèle avec l’idéologie destructrice des bolcheviks de 1917 :

Les partisans du soi-disant “progrès social” croient qu’ils introduisent l’humanité dans une sorte de nouvelle et meilleure conscience. Bon vent, hissez les drapeaux comme on dit, allez-y ! La seule chose que je veux dire maintenant est que leurs prescriptions ne sont pas du tout nouvelles. Cela peut surprendre certaines personnes, mais la Russie est déjà passée par là. Après la révolution de 1917, les bolcheviks, s’appuyant sur les dogmes de Marx et d’Engels, ont également déclaré qu’ils changeraient les us et coutumes existants, non seulement sur le plan politique et économique, mais également sur la notion même de moralité humaine et les fondements d’une société saine. La destruction des valeurs séculaires, de la religion et des relations entre les gens, jusqu’au rejet total de la famille (nous avions cela aussi), l’encouragement à dénoncer ses proches – tout cela était proclamé progrès et, soit dit en passant, était largement soutenu dans le monde entier à l’époque et était tout à fait à la mode, tout comme aujourd’hui. À propos, les bolcheviks étaient absolument intolérants aux opinions autres que les leurs.”

Dans le prochain article, nous explorerons le combat de Sergei Witte, Dimitry Mendeleyev et comparerons leur vision d’un monde de coopération gagnant-gagnant contre la perversion de la science et de la culture envisagée par Trotsky et ses co-penseurs impériaux internationaux.


Notes


(1) Czarism and Revolution, publié par Omni Publications à Hawthorne, édition française de 1962, pp. 224, 230)
(2) Léon Trotsky : My Life, publié par l’éditeur New York : Scribner’s, 1930, p. 277
(3) L’un des meilleurs et des plus récents écrits de Furr sur ce sujet se trouve dans son ouvrage New Evidence of Trotsky’s Conspiracy, Erythos Press, 2020. Le site web de Furr est également une ressource inestimable.
(4) L’association de Parvus avec l’Union paneuropéenne et des opérations fascistes plus larges à travers la Turquie et le Moyen-Orient est exposée dans le rapport de Jeffrey Steinberg de 2005 “Cheney Revives Parvus’ Permanent War Madness”.
(5) Ce fait donne un nouveau sens à l’auto-caractérisation de Bannon en tant que léniniste. Dans un article du Daily Beast du 22 août 2016, le journaliste Ronald Radosh a décrit une conversation qu’il a eue avec Bannon deux ans plus tôt en disant ” nous avons eu une longue discussion sur son approche de la politique “. Il ne s’est jamais qualifié de “populiste” ou de “nationaliste américain”, comme tant de gens le pensent aujourd’hui. “Je suis un léniniste”, a fièrement proclamé Bannon. Choqué, je lui ai demandé ce qu’il voulait dire.
“Lénine, a-t-il répondu, voulait détruire l’État, et c’est aussi mon objectif. Je veux tout faire s’écrouler, et détruire tout l’establishment d’aujourd’hui.”

(6) Dans son “Science and Style” de février 1940, Burnham écrit : “Souhaitez-vous que je prépare une liste de lecture, camarade Trotsky ? Elle serait longue, allant des travaux des brillants mathématiciens et logiciens du milieu du siècle dernier jusqu’à un point culminant dans le monumental Principia Mathematica de Russell et Whitehead (le tournant historique de la logique moderne), puis s’étendant dans de nombreuses directions – l’une des plus fructueuses étant représentée par les scientifiques, les mathématiciens et les logiciens qui coopèrent maintenant dans la nouvelle Encyclopedia of Unified Science.”